Petit éloge de l’embrassement

Depuis de nombreuses années, Belinda Cannone danse le tango.

On me pardonnera d'avoir régulièrement fait ce grand écart en évoquant, en face de l'une des plus joyeuses manières d'être en relation, le tango, la plus cruelle, celle que suscite l'homme exilé et errant qui se présente sous nos yeux. Même si nous estimons qu'une personne a eu tort en prenant le risque d'escalader une falaise, sommes-nous libérés du devoir de l'aider, quand elle tombe devant nous ? J'embrasse qui j'aime, mais ne dois-je pas aussi prendre dans mes bras celui qui se tient, démuni et affaibli, devant moi ?
Petit éloge de l’embrassement de Belinda Cannone

Elle voit dans le tango l’accueil de l’autre, l’hospitalité, la sensualité et la séduction. Mais aussi un art d’improvisation extrêmement codifié qui mérite travail, répétition, travail, répétition, travail, répétition, travail…

Un éloge comme un essai, surprenant, et qui ravira certainement les danseuses et danseurs

Bref, pas vraiment un livre pour moi… par contre, son petit éloge du désir est un vrai bonheur !

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Toi, Tu, Autre, mes autres. Prééminence d'autrui dans mon existence.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Lorsque dans la milonga (ainsi nomme-t-on le bal de tango) les danseurs se rejoignent sur le parquet, leurs bras se lèvent doucement et ils s'enlacent - ils se prennent dans les bras, ils s'embrassent, étymologiquement. D'où le terme argentin, adopté par les Français : l'abrazo. La main gauche de la femme se place sur le haut du bras de l'homme ou sur son omoplate, ou bien encore passe par-dessus son épaule, tandis que celui-ci, glissant sa main droite par en dessous, la pose sur le dos de sa partenaire. De l'autre côté, leurs mains se tiennent en l'air, paume contre paume. Dès qu'on entre dans l'abrazo, on devine, à son corps, sa tenue, sa prise, on devine quelque chose de son partenaire. »

La route

Ils sont deux, l’homme et l’enfant. Ils marchent vers le Sud, vers la mer. Au milieu d’un monde post-apocalyptique et des hordes cannibales. Charognards opportunistes, survivants dans un monde déjà mort.

Assis en face d'elle de l'autre côté de la flamme de la lampe il lui avait dit: On est des survivants.
Des survivants ? dit-elle.
Oui.
Pour l'amour de Dieu qu'est-ce que tu racontes ? On n'est pas des survivants. On est des morts vivants dans un film d'horreur.
Je t'en supplie.
Ça m'est égal. Ça m'est égal que tu pleures. Ça ne signifie rien pour moi.
S'il te plaît.
Arrête.
Je t'en supplie. Je ferai n'importe quoi.
Quoi par exemple ? Il y a longtemps que j'aurais dû le faire. Quand il y avait trois balles dans le revolver au lieu de deux. J'ai été idiote. On a déjà parlé de tout ça. Ce n'est pas moi qui en suis arrivée là. On m'y a amenée. Et maintenant c'est fini pour moi. J'ai même pensé ne rien te dire. Ç'aurait sans doute mieux valu. Tu as deux balles de revolver et alors ? Tu ne peux pas nous protéger. Tu dis que tu mourrais pour nous mais à quoi ça nous avance. Je l'emmènerais avec moi et c'est pour toi que je ne le fais pas. Tu sais que je le ferais. C'est ce qu'il faut faire.
La route de Cormac McCarthy

Lu juste après la fidèle adaptation de Larcenet, le roman n’en est pas moins impressionnant.

Une père qui veille sur son fils. Ils avancent. Pourquoi ?

Quelle est cette pulsion de vie qui ne lâche jamais et qui m’a rappelé Quand on eut mangé le dernier chien de Justine Niogret ?

En bien plus sombre, sous une pluie de cendres

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Quand il se réveillait dans les bois dans l'obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l'enfant qui dormait à son côté.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
L'apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres et de cadavres. Parmi les survivants, un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d'objets hétéroclites. Dans la pluie, la neige et le froid, ils avancent vers les côtes du Sud, la peur au ventre : des hordes de sauvages cannibales terrorisent ce qui reste de l'humanité. Survivront-ils à leur voyage ?

Phallers

Voilà un petit bouquin qui vaudrait bien 5 étoiles rien que pour son trigger warning hilarant ! Merci Chloé de penser à nous, petites choses fragiles !

Calmez-vous, Messieurs, ça va bien se passer
Le trigger warning est un avertissement au public. Il prévient qu’une œuvre contient des éléments pouvant déclencher le souvenir d’un traumatisme.
Personnellement je ne suis pas pour, mais il faut tout envisager tant la situation est actuellement tendue.
Certaines diront que, une femme étant agressée sexuellement ou violée toutes les sept minutes, ce qui se passe dans cette fiction relève du cathartique.
Certains agiteront Freud, tous les petits garçons connaissent « l’intense angoisse de castration ».
C’est par égard pour eux que se trace cet encadré.

Et si certaines femmes, par la grâce du fantastique, devenaient des super héroïnes ?

Marcia a beau parler de légitime défense autant que de protection, Violette reste lucide : faire imploser les bites, elle sait que c'est illégal. Mutilation génitale d'un humain, quand bien même en réponse à un viol ou une agression sexuelle, quelque chose dans sa tête lui hurle que si la police, suivie par la justice, suivie par les médias, découvrait ce qu'elle a fait et tout ce qu'elle pourrait faire, ses chances de s'en sortir seraient égales au néant.
Phallers de Chloé Delaume

Une bonne blague, (zut, c’est juste une blague ?) sans beaucoup plus de prétentions, mais qui m’a bien fait rigoler !

… Et derrière la blague… toutes les sept minutes !

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Noël se meurt dans les vitrines de la galerie marchande.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Comment cela a été rendu possible, personne n'en sait rien. C'est en train d'arriver, c'est tout. Ainsi, très soudainement, un certain nombre de filles et de femmes ont la capacité psychique de faire imploser les phallus. Ces super-héroïnes d'un genre particulier ont pour nom les Phallers.

Violette a dix-sept ans et se serait bien passée de cet étrange pouvoir. Mais elle aimerait, comme toutes, apporter une réponse à cette question cruciale qui hante notre société : comment faire pour que les hommes cessent de violer ?

Baumgartner

Un écrivain de 70 ans raconte ses deuils et, malgré tout, ses espoirs. Son enfance et ses parents, et un peu tout ce qui lui passe par la tête, finalement.

En rentrant chez lui à pied le lendemain après-midi, soit quatre jours avant le dixième anniversaire de la mort d'Anna, il sait qu'il ne sera marié qu'une fois dans sa vie. Judith va continuer à l'éconduire jusqu'à ce qu'il abandonne et s'en aille ou reste en acceptant de jouer selon ses règles à elle, jusqu'au jour où elle s'en ira. Il est trop vieux pour elle, elle ne l'épousera jamais, même si elle l'aime à sa façon, peut-être autant qu'il laime, mais il n'est qu'une pause dans sa vie, le temps qu'elle récupère des blessures infligées par son mariage avec Joe, et dès qu'elle sera complètement remise sur pied, elle tombera dans les bras d'un homme plus jeune et plus excitant que lui et l'affaire sera bouclée.
Baumgartner de Paul Auster

Oui, c’est bien écrit. Un livre à la musique austerienne, comme une balade douce dans les pensées d’un écrivain vieillissant, résigné…

Un livre qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler du Modiano. C’est sympa, mais quand même un peu neurasthénique

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Baumgartner est assis à son bureau dans la pièce du premier étage qu'il désigne parfois comme son bureau, son cogitorium ou son trou.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Sy Baumgartner, professeur de philosophie à Princeton, veuf solitaire de soixante-dix ans, entame un voyage dans le grand palais de la mémoire. Ses pensées lentement partent à la dérive « vers le passé, le passé distant que l'on distingue à peine, vacillant à l'extrémité la plus lointaine de la mémoire, et par fragments lilliputiens, tout lui revient ».

Se déploient, en spirales de souvenirs et de réminiscences, sa jeunesse à Newark, la vie de son père, révolutionnaire fantôme d'origine polonaise, sa rencontre foudroyante, à vingt et un ans, avec Anna, poétesse en herbe, puis leur amour fou quarante années durant. Jusqu'à sa disparition, qui laisse Sy comme amputé de celle qu'il appelait sa moitié. Se dessine alors une étude sensible, profonde et fouillée sur l'attachement et les méandres du deuil de l'être aimé.

Un roman traversé par les forces de l'amour et de la perte, étonnamment lumineux.

Pensées profondes

Vous êtes un peu timide, vous n’arrivez pas à dire « NON », vous culpabilisez sans cesse, vous vous laissez envahir ?

Cette bande dessinée est là pour vous !

Pensées profondes de Anne-Laure Reboul, dessins et couleurs de Régis Penet

Oh ! Elle ne vous proposera aucun traitement, aucune solution. Tout au plus, vous sentirez vous moins seul-e-s

C’est drôle (très), léger, un peu sexy, et ça raconte les affres de Louise qui, c’est décidé, commence à s’affirmer ! Maintenant !

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Échec cuisant, très chère.
Nous avions pourtant tout bien préparé, et ce, depuis des jours.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Surmoi tyrannique
Injonctions sociétales
Plans machiavéliques
Échecs retentissants
Stratégie bienveillante
Affirmation de soí
Sororité douloureuse
Victime de l'univers
Conquête du monde
Belle personne
Ambition dévorante

Le dernier mot

Un livre en deux parties. Une femme qui sombre et se noie. Délires et paranoïa. La séparation avec sa fille, une mort suspecte, le suicide de son mari… Tout se bouscule, comme les mots. Parfois elle, des fois je… plus rien n’est clair. Un journal halluciné.

Ils ne savent pas. Personne ne sait. Et ne saura jamais. Moi non plus, peut-être. Tant de confusion, de clameurs dans ma tête. Comment comprendre. Débrouiller l'écheveau. Dénouer
les nœuds.
Je perds pied. Je sais.
Désarticulée, à présent. Fragmentée.
Le dernier mot de Gisèle Fournier

Puis vient la version de la fille qui trouve ce journal et qui commence avec des mots très durs sur sa mère.

Nous avons, lui et moi, décidé de t'accompagner chez un médecin. Mais tu as refusé : c'était les autres qui étaient malades, pas toi. Nous avons laissé faire, impuissants. Sachant bien qu'un jour où l'autre, inévitablement, tout cela te rattraperait. On ignorait simplement quand et comment.

Une brillante construction en miroir, la narration d’une descente qui ne cesse de chuter

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Elle regarde au loin. Très loin. Par-delà les montagnes. Elle ne voit rien. Peut-être n'a-t-elle plus de destin.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Une confusion extrême agite la narratrice : elle a d'abord soupçonné son mari d'avoir voulu l'assassiner. Maintenant qu'il a basculé par la fenêtre, elle ne sait plus quoi penser. Pourtant la peur et l'angoisse demeurent : des sentiments impossibles à partager, confiés à des cahiers où elle s'exprime tantôt à la première personne, tantôt spectatrice d'elle-même, dans un dédoublement vertigineux. Retrouver la paix lui sera-t-il possible ?

Avec une grande précision clinique et le souci du détail qui caractérise son style, Gisèle Fournier décrit le parcours d'une femme qui s'enfonce dans une dépression.

Emmerdeuse

Woaw ! Quelles emmerdeuses, quelle énergie et quel humour ! J’adore !

Bienvenue en romandie à la rencontre de femmes qui agissent.

C'est aussi que je crois que « La Vie au Vert » commence à me ronger le cerveau. Plusieurs mois de street-food végan, de boutiques éco-responsables et de coopératives de jardinage, ça finit par rendre un peu parano. Quand tu ne parles qu'à des bobos bien-pensants sur le retour et des jeunes hypsters coolichiants à longueur de semaines, tu te mets à t'imaginer des trucs. Des nouvelles qui devraient être emportées sans retour dans le flot des informations quotidiennes se collent dans ta mélasse cérébrale bio.
Emmerdeuse de Laure Tuia

Une journaliste d’Edelweiss enquête sur des actes écoterroristes (plutôt gentillets) à la recherche d’un cerveau qui coordonnerait toutes ces actions… C’est foufou et bien foutu.

Et si j’ai un jour des enfants, je leur dirai quoi dans vingt ans? « C’est pas ma faute, moi j’ai trié mes poubelles ? ».

Une pépite qui m’a bien fait rire et même réfléchir !

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
- Tiens Léna, j'en ai une pour toi : « Cointrin : Trafic aérien bloqué pendant trois heures par des pigeons ». Cette fois tu les tiens, tes révolutionnaires !


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Un magasin vidé de ses habits jetables, un camion de purin renversé sur l'autoroute, un sabotage au Salon de l'Auto... Personne n'y voit rien d'étrange, mais Léna, elle, en est sûre : c'est une improbable conspiration. Des blagueurs d'un nouveau genre organisent des attaques écologiques qui passent - presque - inaperçues. Elle délaisse alors son assommante rubrique éco-conso à Edelweiss et nous embarque avec elle dans une drôle d'enquête journalistique.

Nomade, amoureuse du monde, Laure Tuia rend hommage a ses racines romandes avec son premier livre. Après plusieurs années à la découverte de l'Europe, elle habite désormais en Valais où elle partage sa vie entre l'écriture et l'enseignement des langues.

K comme Almanach

Les petits livres de Marie-Jeanne Urech ne sont pas très faciles d’accès et pourtant, ils méritent qu’on rame un peu dans cette écriture désarçonnante. Ne pas abandonner, dirait Simon le lampiste, le premier à éclairer la nuit.

De sa fenêtre, Simon ne voyait ni mer ni lac, mais une colline rabotée, lyophilisée à grands frais afin d'y construire une muraille et un complexe hôtelier. La muraille pour décourager les étrangers et le complexe hôtelier pour en accueillir d'autres.
K comme Almanach de Marie-Jeanne Urech

Car de l’abandon, il y en a partout dans ce K. Tout le monde fuit pour Belgador. Ne restera bientôt que la mauvaise herbe dans une ville fantôme, le lampiste et un enfant abandonné recueilli, bon gré, mal gré ?

Une fable absurde sur une humanité qui s’est perdue, abandonnée

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Bientôt la navette à destination de Belgador s'arracherait de terre. Une foule sans bagages se massait devant l'aérogare. Seuls les souvenirs, en lambeaux ou confettis, étaient autorisés. Il fallait voyager léger pour tout quitter. Marchait sur le trottoir opposé Simon le lampiste, premier à éclairer la nuit.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
La ville se vide de ses habitants. Tous se pressent quotidiennement dans les navettes vers Belgador, nouvel Eden aux vertes prairies promises, planète lointaine dont on ignore tout. Face à l'exode, Simon le lampiste est déterminé à rester quoi qu'il en coûte. En plus de son métier, il s'improvise pêcheur, jardinier et travailleur social dans une ville s'effondrant sur elle- même, envahie par la jungle et le désert. Au Lacmer, il recueille le petit, un perdu-retrouvé, recraché par les flots, traumatisé et muet. Simon apprend alors à être pédagogue, et à transmettre ce qui lui est cher : le travail bien fait, l'entretien du monde, le soin aux autres et le langage. Mais peut-on véritablement habiter un monde seul à deux ?

Après Malax (2016) et la Terre tremblante (2018), Marie-Jeanne Urech continue son exploration des désenchantements contemporains sous la forme de fables explorant nos fragilités, nos forces et sensibilités

L’esprit artificiel : une machine ne sera jamais philosophe

Raphaël Enthoven, écrit bien, très bien ! C’est clair, on a le sentiment de comprendre et même d’apprendre et de réfléchir. Mais tout cela, après quelques chapitres, m’a semblé tellement scolaire. Oui, tout est bien déroulé, c’est même parfois drôle ou même personnel (comme le veut la consigne ?). Les digressions permettent de s’échapper pour mieux revenir et bim : voilà ! C’est ça.

Alors, peut-on le lui reprocher ? Je ne sais pas, mais tout cela me laisse quand même l’impression d’avoir écouté un beau parleur.

Victoire de l'inanimé
Il n'est pas impossible que nous devenions des moutons, et qu'à force de leur demander d'avoir meilleure mémoire que nous, nous soyons bientôt zombifiés par nos outils, possédés par nos possessions, grégarisés par nos algorithmes et rendus paresseux ou asociaux par ces armes hypnotiques.
L’esprit artificiel : une machine ne sera jamais philosophe de Raphaël Enthoven

Et pour le fond ? L’auteur prend le pari que la machine ne pourra jamais philosopher, qu’à tout jamais cela lui restera hors de portée. Et c’est là, justement, que se situe notre humanité.

Attend-on le tome deux, notre humanité n’est pas algorithmique ?

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Imaginez qu'un beau jour votre conjoint vous demande pour quelle raison vous l'aimez. Et que vous, malheureux, vous aventuriez à répondre à cette question piège...
On peut douter que votre histoire d'amour y survive.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
De la science au droit, de la médecine aux questions militaires, l'intelligence artificielle bouleverse tous nos champs de compétence. Tous ? Non ! En philosophie, l'IA ne sert à rien. Le prototype d'agent conversationnel ChatGPT, qui peut répondre à toute question, trouver une recette de cuisine à partir du contenu d'un réfrigérateur, rédiger un article ou composer un poème sur le sujet de notre choix, qui puise dans l'intégralité du savoir disponible pour en livrer une synthèse en quelques secondes... se trouve comme une poule devant un couteau quand on lui demande de réfléchir.

Quelle énigme ! Pourquoi le geste tout simple qui consiste à trouver une problématique, c'est-à-dire à transformer une question en problème pour en faire la colonne vertébrale d'une réflexion, demeure-t-il hors de sa portée ? À quoi tient cette singularité, ce je-ne-sais-quoi ? Pourquoi la pratique de la philosophie est-elle inaccessible à l'intelligence artificielle ? Et pourquoi l'humanité demeure-t-elle un casse-tête pour la machine ? C'est la même question.

Stella et l’Amérique

Voilà une bien grosse poilade, un bon moment de polar old-fashioned à l’américaine avec des tueurs, de l’humour (plein d’humour !), un petit peu de sexe, des interdits et des tabous, et plein de brigands bien mal intentionnés (à commencer par Sa Sainteté).

Santa Muerte se pencha et cracha dans la bassine en plastique à ses pieds. Elle s'essuya la bouche avec un mouchoir de tissu sale et but au goulot une lampée de mezcal. Lequel, avec les cigarettes sans filtre, est une belle tentative d'écourter le temps long. Le ver dans la bouteille chatouilla ses lèvres avant de s'en retourner au fond. Santa passa sa petite langue noire sur sa bouche.
« Assieds-toi et parle, ma jolie. Mes clients attendent.
 - J'ai vu personne dehors.
 - Je parle aussi avec des fantômes, la plus grande part du boulot est invisible. »
Stella et l’Amérique de Joseph Incardona

Un roman noir dans la lumière sainte.

Deux balles franchirent le verre, la peau et l'os. 
Dans ces conditions, la vie, quelle qu'elle soit, s'efface. 
Et on tuera tous les affreux.

Et une fin avec un clin d’œil à Vernon Sullivan bien mérité

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il faut savoir que Stella n'était pas exactement belle, ni très futée non plus. Mais elle était sincère. Et loyale. Et dans une vie, quand on y pense, ça peut suffire pour devenir une sainte.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Stella fait des miracles. Au sens propre. Elle guérit malades et paralytiques, comme dans la Bible. Le Vatican est aux anges, pensez donc, une sainte, une vraie, en plein vingt et unième siècle ! Le seul hic, c'est le modus operandi : Stella guérit ceux avec qui elle couche. Et Stella couche beaucoup, c'est même son métier...

Pour Luis Molina, du Savannah News, c'est sûr, cette histoire sent le Pulitzer. Pour le Vatican, ça sentirait plutôt les emmerdements. Une sainte-putain, ça n'est pas très présentable. En revanche, une sainte-martyre dont on pourrait réécrire le passé...

Voilà un travail sur mesure pour les affreux jumeaux Bronski, les meilleurs pour faire de bons martyrs. À condition, bien sûr, de réussir à mettre la main sur l'innocente Stella. C'est grand, l'Amérique.

Avec sa galerie de personnages excentriques tout droit sortis d'un pulp à la Tarantino et ses dialogues jubilatoires dignes des frères Coen, Joseph Incardona fait son cinéma.