L’enragé

Les droits de l’enfance, en fin de compte, sont une notion passablement récente. Sévices, exploitation, viol, enfermement, punitions corporelles… toutes ces violences étaient courantes et acceptées jusqu’à peu.

Il a rangé sa trique.
 - Tu es une vraie teigne toi, hein ?
Pas de réponse.
 - Maintenant tu baisses les yeux, a ordonné Chautemps.
J'ai été condamné à trente jours de quartier disciplinaire, dont trois au pain sec et à l'eau. Privé de cours, de messe, de récréation et de réfectoire. Repas au cachot et présence obligatoire à la corderie. Ils me punissaient mais m'obligeaient à travailler.
L’enragé de Sorj Chalandon

À la fin des années 30, tous les enfants s’échappèrent de la maison de correction de Belle-Île-en-mer (un bagne, donc !) et tous furent rattrapés… tous sauf un.

J'ai retrouvé Soudars à l'infirmerie. Il avait fracassé la vitrine du meuble à médicaments. Il était seul. Lorsqu'il m'a vu, il a tenté de s'enfuir. Mes poignets étaient bleus de sa corde. Je sentais encore le mât dans mon dos.
Je l'ai coincé violemment contre le lit de consultation. Coup de poing à la tempe.
 - Fais pas le con, Bonneau !
Coup de tête. Craquement d'os, son nez. Nouveau coup dans les dents. Il avait la bouche ouverte, j'ai senti sa morsure sur mon front. Sa mâchoire qui cède. Il s'est effondré sur le dos, au milieu des fioles de gardénal. Je lui ai donné un coup de pied dans la tête, un deuxième. Longtemps j'avais rêvé de cette scène. Je rythmais chaque sévice par un commentaire.

Sorj Chalandon imagine et raconte son histoire, la violence, l’injustice, la haine, la vengeance et la colère.

Un livre prenant, rude et choquant. Dans cet enfer et au travers de cette évasion, il interroge la possibilité d’un après. Comment vivre avec ?

Magnifique

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Tous sont tête basse, le nez dans leur écuelle à chien. Ils bouffent, ils lapent, ils saucent leur pâtée sans un bruit. Interdit à table, le bruit. Le réfectoire doit être silencieux.
- Silencieux, c'est compris ? a balancé Chautemps pour impressionner les nouveaux.
Sauf à la récréation, la moindre parole est punie.
Le surveillant-chef empêche même les regards.
- Je lis dans vos yeux, bandits.
Cet ancien sous-officier marche entre les tables, boudiné dans son uniforme bleu.
- J'y vois les sales tours que vous préparez.
Sa casquette de gardien au milieu de nos crânes rasés. Moysan, Trousselot, Carrier, L'Abeille, Petit Malo, même Soudars le caïd, tous ont la tête dans les épaules. Notre troupe de vauriens semble une armée vaincue.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Je n’ai pas le droit aux sentiments. Les sentiments c’est un océan, tu t’y noies. Pour survivre ici, il faut être en granit. Pas une plainte, pas une larme, pas un cri et aucun regret. Même lorsque tu as peur, même lorsque tu as faim, même lorsque tu as froid, même au seuil de la nuit cellulaire, lorsque l’obscurité dessine le souvenir de ta mère dans un recoin. Rester droit, sec, nuque raide. N’avoir que des poings au bout de tes bras. Tant pis pour les coups, les punitions, les insultes. S’évader les yeux ouverts et marcher victorieux dans le sang des autres, mon tapis rouge. Toujours préférer le loup à l’agneau. »
Dans la nuit du 27 août 1934, cinquante-six gamins se révoltent et s’échappent de la colonie pénitentiaire pour mineurs de Belle-Île-en-Mer. Voici ouverte la chasse aux enfants. Tous sont capturés. Tous ? Non : aux premières lueurs de l’aube, un évadé manque à l’appel. Voici son histoire…

La fantaisie des dieux : Rwanda 1994

Voilà près de trente ans s’est déroulé un génocide en Afrique.
Plus de 800 000 morts en cent jours !

La fantaisie des dieux : Rwanda 1994 de Patrick de Saint-Exupéry, dessins de Hippolyte

Et la France, Mitterand, décidait de regarder ailleurs.

Témoin du génocide, Patrick de Saint-Exupéry raconte ici les événements, mis en dessins par Hippolyte. C’est dur et violent, voir parfois onirique quand les mots ne suffisent plus. Une brillante réussite en tant que bande dessinée, un choc comme témoignage.

Le récit d’une infamie

A lire pour aller plus loin : L’inavouable : la France au Rwanda

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
En 1994, il se produisit un génocide au Rwanda.
Un génocide est un crime contre l'humanité.
Monsieur le président.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Il n'y avait plus de mots. Juste ce silence. Épais, lourd. C'était un génocide, celui des Tutsis du Rwanda, le troisième du XXe siècle.

Il faisait beau, il faisait chaud. Nous avions pénétré le monde du grand secret.

Sur les collines de Bisesero, des instituteurs tuaient leurs élèves, des policiers menaient la battue. C'était la « grande moisson ».

François Mitterrand niait « le crime des crimes ». Comment raconter ?

Ils ont tué Leo Franck

Il fut en temps où l’on assistait volontiers à une pendaison et même, pourquoi pas, on se photographiait fièrement à côté du pendu. Souvent noir et pauvre. Ici, juif.

Léo Frank à été lynché par une foule chauffée à blanc le 18 août 1915.

Ils ont tué Leo Franck de Xavier Bétaucourt, dessins de Olivier Perret, couleurs de Paul Bona

Cette histoire emblématique sert parfaitement d’exemple pour démontrer la bêtise des foules, le poids d’une presse à sensation partisane, les lacunes des systèmes judiciaire et policier, le racisme et l’antisémitisme dans le sud des États-Unis, la pauvreté et les différences de classe et toutes leurs conséquences.

Une reconstruction fouillée au dessin un peu statique bien relevé par des aquarelles de Bona. Hélas le traitement au plus proche des faits historiques rend l’album un brin lassant, et ce malgré la fin brillante qui ose la question : et maintenant ?

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
1982. Alonzo Mann est un vieil homme qui sent sa fin venir. Il décide de témoigner à nouveau sur une affaire qui a déchiré l'Amérique en 1913. Celle d'une possible erreur judiciaire et du lynchage d'un homme : Leo Frank.
1913. Le corps de Mary Phagan, 14 ans à peine, est retrouvé dans l'usine dans laquelle elle travaillait. Elle a été étranglée. Près d'elle deux bouts de papier sur lesquels, agonisante, elle aurait écrit que son violeur et assassin est un homme noir.
La police identifie rapidement deux suspects : Leo Frank, le patron de l'usine qui est le dernier à l'avoir vue vivante et Jim Conley, balayeur, noir, surpris en train de laver une chemise tachée de sang...
Qui du jeune et riche patron juif venu de Boston ou du pauvre employé noir illettré sera inculpé ?
Dans ce récit tout est vrai. L'affaire, l'emballement de la presse, les mots, terribles, prononcés au procès, le témoignage, au crépuscule de sa vie d'Alonzo Mann... La résonance avec l'époque actuelle aussi...

L’été où tout arriva : 1927, l’Amérique en folie

Tournant principalement autour de l’événement majeur de cette année, la traversée de l’Atlantique par Charles Lindbergh, Bill Bryson nous raconte à sa manière cette année marquante de l’Amérique moderne.

XXVI
Les années 1920 ont été surnommées les Années folles, mais aux États-Unis on aurait peut-être dû les baptiser « l'âge de la haine ». Il n'y a probablement pas eu d'autre moment, dans l'histoire de ce pays, où autant de gens ont détesté autant d'autres gens venus d'autant d'horizons et pour moins de raisons. Le sectarisme était alors systématique et quasi universel. Au New Yorker, Harold Ross interdisait l'emploi de l'expression « papier toilette » pour une question de goût (cela le mettait mal à l'aise), mais il n'avait absolument rien contre « nègre » ou « moricaud ». Quelques jours avant la traversée de Lindbergh, son journal avait publié un dessin humoristique où figurait cette réplique aussi impérissable qu'affligeante : « Pour moi, les Nègres se ressemblent tous. »
L’été où tout arriva: 1927, l’Amérique en folie de Bill Bryson

Un été de prohibition, juste avant le grand crash économique et la grande guerre qui suivra, en pleine démocratisation de la radio et à l’arrivée du cinéma parlant, au milieu des États-Unis – pays de la boxe et du base-ball – gouvernés de façon (j’allais dire bizarre mais peut être faudrait-il écrire) habituelle.

Lindbergh se trouvant momentanément indisponible, il fallait à l'Amérique quelque distraction sublimement absurde, et un certain Shipwreck Kelly s'apprêtait à la lui fournir. Le 7 juin à 11 heures du matin, il escalada un mât de 15 mètres fixé sur le toit de l'hôtel Saint Francis de Newark, dans le New Jersey, et s'assit au sommet. Il ne fit rien d'autre pendant des jours et des jours, mais le public enchanté afflua à Newark pour le voir.

En vrai rat de bibliothèque, documentaliste infatigable, scrutateur de l’énorme et du détail, Bill Bryson livre un pavé d’humour et d’histoire.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Mai 1927 : Charles Lindbergh traverse l'Atlantique seul, sans escale et de continent à continent. Cet exploit va changer le monde et les États-Unis, comme plusieurs autres événements survenus jusqu'en septembre dans ce pays qui ne connaît pas encore la crise mais doit déjà faire face aux dérèglements climatiques, aux tueurs fous et aux bizarreries de son président.

Cette Amérique qui ressemble à celle d'aujourd'hui nous est racontée par l'auteur de non-fiction préféré des Anglo-Saxons. Il le fait avec autant de joyeuse érudition que d'humour noir, et au travers d'une foule de personnages aussi différents que Henry Ford (génial constructeur automobile mais sinistre antisémite), Al Capone (joufflu comme un bébé mais beaucoup moins inoffensif) et Walt Disney, à qui l'exploit de Lindbergh inspirera un héros pilote sous les traits... d'une souris

Une sortie honorable

Après une brève description de l’enfer colonial qui ressemble comme deux gouttes d’eau aux atrocités commises par Léopold II au Congo, rappelées dans Le coeur des ténèbres, en Algérie ou qu’on retrouve dans Exterminez toutes ces brutes !, Eric Vuillard raconte avec force anecdotes la guerre d’Indochine.

Une sortie honorable de Éric Vuillard

Et comme à son habitude, il use d’effets, de projections, de circonvolutions et de bons mots (un peu beaucoup d’ailleurs, et cela nuirait presque à l’efficacité de son argumentaire).

Mais à la fin, il retombe sur ces pattes et cette sortie honorable démontre qu’elle ne le fut en rien. Les profiteurs de guerre dans leurs beaux salons s’en sont rempli les poches dans leurs beaux costumes une fine et un cigare à la main. Les incapables en uniformes de parade ont fait leur job à la perfection en décimant tant et plus ne laissant que désolation et terres brulées.

Qui, bien au chaud, gouverne, à qui profitent ces crimes et les puants sont-ils dans les cachots ?

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Et si je vous en donnais deux ?, lui lança-t-il.
- Deux quoi ? », répondit le ministre français, interloqué, incapable de faire le lien entre la conversation diplomatique, somme toute assez classique qu'il menait à propos de Diên Biên Phu, et cette question à la tournure tout à fait saugrenue.
« Deux bombes atomiques... », précisa le secrétaire d'Etat américain.
É.V.

Le roi n’avait pas ri

Triboulet fut le fou du roi Louis XII puis de François 1er.

Le roi n’avait pas ri de Guillaume Meurice

Guillaume Meurisse, amuseur public et politique en conte son histoire de façon… un peu désabusée

L’humour n’aurait donc aucune autre utilité que celle de faire rire ?

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Triboulet fut le difforme et volubile bouffon de Louis XII et François Ier. À travers sa vie de frasques et de facéties, il testa à chaque instant les limites de sa liberté. Jusqu'à... la blague de trop.

Le pouvoir tolère-t-il vraiment le rire ? Lorsqu'elle est permise par un roi, l'irrévérence fait-elle révérence ?
L'ascension et la chute de Triboulet, racontée par un bouffon du XXIe siècle

Le bal des folles

Humanisme, exhibitionnisme ou voyeurisme, les débuts de la médecine psychiatrique ont donné lieu à quelques approximations dans une société patriarcale et conformiste. Un livre qui témoigne de la position des femmes et de leur fragilité dès qu’elles montraient quelque velléité d’affirmation ou qui aspiraient à simplement vivre comme elles le souhaitaient.

Le bal des folles de Victoria Mas

Pas trop fan des esprits… Mais qu’importe, Magnifique !

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Depuis l'arrivée de Charcot à la Salpêtrière, on dit que seules les véritables hystériques y sont internées. Mais le doute subsiste... »

Chaque année, à la mi-carême, se tient, à la Salpêtrière, le très mondain Bal des folles. Le temps d'une soirée, le Tout-Paris s'encanaille sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Cette scène joyeuse cache une réalité sordide : ce bal « costumé et dansant » n'est rien d'autre qu'une des dernières expérimentations de Charcot, adepte de l'exposition des fous.

Dans ce livre terrible, puissant, écrit au scalpel, Victoria Mas choisit de suivre le destin de ces femmes victimes d'une société masculine qui leur interdit toute déviance et les emprisonne. Parmi elles, Geneviève, dévouée corps et âme au service du célèbre neurologue ; Louise, une jeune fille « abusée » par son oncle ; Thérèse, une prostituée au grand coeur qui a eu le tort de jeter son souteneur dans la Seine ; Eugénie Cléry enfin qui, parce qu'elle dialogue avec les morts, est envoyée par son propre père croupir entre les murs de ce qu'il faut bien appeler une prison.

Un hymne à la liberté pour toutes les femmes que le XIXe siècle a essayé de contraindre au silence

14 juillet

En s’emparant de la prise de la Bastille, Eric Vuillard a voulu redonner son nom au peuple. Quentin, Richard, Rogé, Masson, Miclet et tant d’autres…

14 juillet de Éric Vuillard

Du coup, comme dans tous ses livres c’est toujours aussi brillant, enlevé, drôle et incisif… mais, un peu longuet quand même et parfois brouillon. Mais bon ! Cette journée était brouillonne et fut fort longue…

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Tout commence par une folie. Le 28 avril 1789, quelques jours avant l'ouverture des états généraux, les ouvriers de la manufacture royale, menacés d'une baisse de salaire, mettent à sac la folie Titon.

Moins de trois mois passent. Au matin du 14 juillet, le peuple de Paris se soulève, la Bastille doit rendre gorge. Une myriade d'émeutiers, hommes et femmes, donnent chair à la révolte à coup de petits héroïsmes, morceaux de bravoure prosaïques : charrier des planches de bois, rouler les canons sur le pavé, soigner les blessés, encourager les uns, vilipender les autres, cogner, vociférer, mettre le feu aux poudres...

Parce que c'est depuis la foule sans nom que l'on comprend le soulèvement d'un peuple, Éric Vuillard déploie une narration collective composée de figures singulières, entraînées dans ce formidable élan qu'est la prise de la Bastille. Ses miniatures éclatantes forment une fresque magistrale qui redonne vie à cette grande journée pétrifiée par le temps. Un livre flamboyant, où notre fête nationale retrouve sa beauté tumultueuse

La guerre des pauvres

En Europe, les inégalités sont crasses (en ce 15e siècle), le clergé s’engraisse et les impôts tabassent.

La guerre des pauvres de Éric Vuillard
La guerre des pauvres de Éric Vuillard

Les hommes se soulèvent.

Un livre peut-être un peu moins inspiré que les brillantissimes Congo ou l’ordre du jour. Restent une écriture impeccable et un sujet fort bien amené par conteur talentueux!

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Les exaspérés sont ainsi, ils jaillissent un beau jour de la tête des peuples comme les fantômes sortent des murs.
É. V.