Psychopompe

En partant d’un conte que lui racontait Nishio-san quand elle était toute petite, Amélie Nothomb nous parle – à l’instar de Haruki Murakami et de tant d’autres (une mode ?) – de son métier d’écrivaine.

À l'échelle de ma vie, j'en arrive à un épisode qui me plonge dans la perplexité la plus absolue. 
Comme la plupart des gens, j'ai connu des moments que l'on pourrait dire d'éveil. Ce n'était pas le satori, bien sûr, mais c'était à chaque fois le kensho : éveil qui, pour ne pas être définitif, sépare le temps en un avant et un après.
Par définition, on se rappelle un tel instant : surtout moi, qui ne manque pas de mémoire pour ce genre de sacres.
Psychopompe de Amélie Nothomb

Une Amélie psychopompe qui, l’instant d’un livre fait revivre son passé, ses morts, ses oiseaux et ses traumatismes en nous parlant de son enfance voyageuse de fille de diplomate. Et, ce faisant, nous dévoile son labeur.

L'intérêt d'écrire au quotidien, c'est aussi cela : ne jamais oublier à quel point c'est difficile.

Psychopompe, adjectif et nom masculin
(grec psukhopompos, de pompaios, qui conduit)

Conducteur des âmes des morts. (Dans l’Antiquité, ce rôle était joué surtout par Hermès, Charon et Orphée.)
Larousse.fr (en ligne)

Un livre touchant, de chants et d’envol

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Le marchand de tissus vit passer un vol de grues blanches. Émerveillé par leur beauté, il pensa qu'il rêverait de découvrir une étoffe d'une splendeur comparable à leur plumage.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Écrire, c'est voler. »

Prenant pour titre un adjectif issu du grec apparu en France au XIXe siècle, ce roman d'Amélie Nothomb évoque ces personnages mythiques accompagnant les défunts jusqu'aux Enfers ou les en ramenant, à l'instar de Charon, de l'Ankou, d'Orphée ou d'Hermès.

Pucelle, vol 2 : Confirmée

Florence continue de grandir et l’innommable chatouille de plus en plus… Mais c’est péché ! Comment manager ça avec tout le poids d’une éducation catholique pleine d’interdits ? Et les garçons sont bien intrigants. Mais que faire avec ? C’est mal ?

Pucelle, vol 2 : Confirmée de Florence Dupré la Tour

Un deuxième volume plus sombre mais tout aussi génial au sein d’une famille empêtrée dans un religieux assez fondamentaliste avec un couple de parents bien mal en point.

L’histoire d’une ado en peine qui se retrouve confrontée à son désir, écrasée par la culpabilité et les tabous sans aucun mode d’emploi

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Dans la chaleur de la Guadeloupe, mes treize ans s'épanouissaient sous des latitudes peu désirables : l'âge ingrat.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Florence a quitté l'enfance et aborde les rivages de l'adolescence. À mesure que son corps change, c'est son regard sur son éducation et son rapport aux autres qui évoluent.

Peut-elle faire confiance aux hommes qui l'entourent ? Et que faire de toutes ces pulsions interdites, si désirables et coupables ? À mesure que Florence grandit, ce sont les adultes autour d'elle qui semblent rapetisser.

Pucelle, vol 1 : Débutante

Dans ce premier tome qui raconte plus ou moins la même période que Cruelle ou Jumelle, Florence s’attache beaucoup plus à la découverte du monde en dessous de la ceinture. Un monde inconnu, sale et tabou !

Pucelle, vol 1 : Débutante de Florence Dupré la Tour

Alors, quand les premières règles arrivent…

Comme à son habitude, Florence s’attache à TOUT dire et parfois on lui en voudrait presque un peu de tant de sincérité. Mais pourtant, c’est bien là que se trouve toute la puissance de ses albums !

Une enfance au sein du patriarcat religieux, des tabous, de la toute puissance des hommes et de la docilité des épouses et des enfants. Mais aussi, une enfance avec Béné.

Un premier album fort qui casse bien des tabous et des non dits

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il courait dans la famille une savoureuse anecdote à propos d'une Grand-tante paternelle et maman se délectait souvent à nous la raconter.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Depuis sa plus tendre enfance, Florence ignore tout ce qui se passe… en-dessous de la ceinture.
Elle imagine que le papa met la petite graine dans le nombril de la maman, et puis de toute façon, il est tacitement interdit, dans la famille, de parler de « la chose qui ne doit pas être dite ».
Alors … Florence imagine des scénarii terribles, parfois idiots; Florence s’angoisse devant le poids de la tradition qui place inéluctablement la femme dans une position inférieure ; Florence, à sa façon, résiste pour ne pas sombrer.

La prochaine fois que tu mordras la poussière

Panayotis a besoin de tout cracher, tout dire, au risque d’en faire trop. Il a besoin de tout casser, de vomir tout ce qui lui reste en travers de la gorge avec l’espoir – probablement – qu’il en ressortira pur, immaculé, lavé de ses péchés, absous de ses petites perfidies, en paix avec lui même, son père, son homosexualité et libéré de ses épisodes dépressifs.

Encore à la campagne, j'y vais dès que je peux, pour bosser. Il faut que je bosse, je le sens quand j'en ai besoin, maintenant plus que jamais. Il y a encore quelque temps, je me lavais les mains avant d'écrire. Maintenant j'ai compris que se laver les mains et écrire c'est la même chose.
La prochaine fois que tu mordras la poussière de Panayotis Pascot

Et là, il n’a pas fait dans la demi-mesure et a fini par me perdre.

Reste un témoignage touchant et qui semble très sincère sur l’acceptation de son homosexualité et l’ambivalence de la relation avec son père

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je crois qu'il va bientôt mourir. Il me l'a dit douze fois : Tu sais je vais bientôt mourir, mais je ne le croyais pas. Parce qu'il aime créer du frisson, il aime ajouter à son charisme avec des annonces dramatiques. Sauf que je l'ai vu s'essouffler de plus en plus vite, j'ai vu son regard se perdre souvent dans le vide, pas en mode réflexion, en mode bilan.


Striatum : comment notre cerveau peut sauver la planète

Sébastien Bohler a, semble-t-il, une idée fixe : notre cerveau pourrait nous sauver de l’inexorable ! Candide ? Sûrement, tant la tâche semble insurmontable. Et pourtant, par où commencer, si ce n’est par nous même ? Tous ensemble ! Et d’abord… Avons-nous le choix ?

Cela ressemble à un paradoxe. Mais ce n'en est pas un. C'est en réalité parfaitement logique du point de vue de l'évolution des espèces. Le malheur pousse à croître. Le bonheur n'est pas rentable. La croissance est consubstantielle de l'insatisfaction. Et elle produit encore plus de malheur.
Striatum : comment notre cerveau peut sauver la planète de Sébastien Bohler

Et comme pour ses précédents ouvrages, il part de la base, de notre cerveau et de son incorrigible appétence, son inextinguible avidité. Mais aussi, dans cet ouvrage, des outils qu’il possède aussi pour se refréner…

Le biologiste Marten Scheffer, de l'université de Wageningen, aux Pays-Bas, et ses collègues Ingrid van de Leemput, Els Weinans et Johan Bollen, ont récemment analysé le contenu de plusieurs millions de livres publiés en Anglais et en Espagnol entre 1850 et 2019. Ils ont constaté que, sur ce corpus très étendu ainsi que dans les colonnes de journaux tel le New York Times, à partir de 1975, le pronom « je » devient de plus en plus fréquent, alors que dans le même temps l'emploi du « nous » commence à se raréfier. De même les termes relatifs à l'émotion prennent le dessus, et ceux qui se
rapportent au domaine de la raison se mettent à reculer. Ainsi, les mots « sentiment », « plaisir », « indignation », progressent, tandis que ceux relatifs à la raison (« preuve », « rationnel », « démonstration ») voient leur fréquence décliner.

Alors, ne serions nous que des enfants incapables de ne pas croquer ce marshmallow ?

Et comme d’hab, c’est documenté, simplement vulgarisé mais précisément sourcé, tip-top et… plein d’espoir…

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Ça y est. Nous y sommes. Face au mur. En quelques années, tout s'est accéléré. Ce que nous prenions pour un mouvement lent de dégradation et de réchauffement est devenu un processus brutal, extrêmement rapide. Le climat se modifie en profondeur, l'air devient irrespirable dans de nombreuses régions du monde, et l'eau se fait rare. Des migrations de grande ampleur se préparent, laissant planer la menace de conflits multiples de par le monde.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Comment sauver notre planète quand on voit les records de température battus année après année, la raréfaction de l'eau et l'inéluctable réchauffement qui s'amplifie ? Sommes- nous irrémédiablement perdus ?

La solution est dans notre cerveau. Au cœur de nos neurones, un organe appelé « striatum » nous pousse à consommer toujours plus, condamnant ainsi nos efforts de sobriété.
C'est à lui que nous devons nous attaquer.
La solution : lui opposer une autre zone plus évoluée et plus puissante de notre cerveau.
Son nom : cortex préfrontal.

Avec cet allié, nous pouvons soulever des montagnes

Céleste

Voilà un coffret bien sympathique, poétique et magnifique !

Céleste, vol. 1 : Bien sûr, monsieur Proust de Chloé Cruchaudet

Les dessins sont plein de grâce, les aquarelles aériennes, les noirs profonds, les mises en pages créatives et variées, pleines de folie.

Céleste, vol. 2 : Il est temps, monsieur Proust de Chloé Cruchaudet

L’histoire ? celle de la servante-secrétaire-bonne-gouvernante de Marcel Proust qui fut bien maltraitée, puis révoltée et enfin affirmée et affairée auprès du « génie créatif littéraire« .

Deux inséparables albums magnifiques pour me décider – une fois de plus – à me plonger dans la Recherche

Celeste : Bien sûr, Monsieur Proust, première partie
Celeste : Il est temps, Monsieur Proust, seconde partie

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Celeste : Bien sûr, Monsieur Proust, première partie
Paris, 1956.
Rue des Cannettes.
... Trois mois...
... Oh ?! Tu m'écoutes ?
Hein ?
Je disais : les polonais n'ont pas payé depuis trois mois.

Celeste : Il est temps, Monsieur Proust, seconde partie
Pas encore...
Voilààà...
Même avec l'âge...
... Je continue à déceler la note parfaite...


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Portrait de Céleste Albaret (1891-1984), gouvernante de Marcel Proust et parfois secrétaire à laquelle il dicte son oeuvre.
Le premier volume met en lumière la particularité de leur lien et la construction d'un monument de la littérature ainsi que les multiples facettes et aspérités de l'écrivain.
Le second met en lumière la particularité de leur lien et comment il se resserre au fil du temps et des épreuves, entre désir de gloire pour l'un et d'ascension sociale pour l'autre. Avec un dossier documentaire.

L’Africain du Groenland

Le génial récit de voyage de Tété-Michel qui, dans les années 60, fugua à 16 ans du Togo pour le Groenland. Un voyage de près de 10 ans fait de rencontres, d’amitiés et de découvertes !

Tout en parlant, Jakobina nous sert le café puis apporte de la graisse de renne. Chacun coupe un morceau de cette graisse et le met dans son café chaud, sucré ou non, et arrosé d'akvavit. J'imite les autres. La graisse fond en partie et forme à la surface de petits cercles huileux. Le café bu, il reste au fond des tasses un bout de graisse que l'on prend avec sa cuillère pour le manger accompagné d'un morceau de sucre.
 - Comment le trouves-tu ? me demande Knud.
 - Mais c'est très bon !
L’Africain du Groenland de Tété-Michel Kpomassie

Un livre plein d’émerveillement et de surprises face aux coutumes, mœurs, habitudes alimentaires, paysages, températures rencontrées… mais aussi sur la lente perte d’identité groenlandaise face à l’acculturation danoise. Comme un livre d’anthropologue fasciné par ses rencontres, accueilli comme un prince invraisemblable dans ces glaciales contrées inhospitalières

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Le cocotier et le serpent
- Il n'est pas encore réveillé, l'autre ? demanda l'oncle, avec mépris.
Il parlait à voix basse, faisant visiblement un effort pour ne pas hausser le ton, soit pour retenir sa colère, soit pour ne pas déranger, dans leur sommeil, ceux qui étaient couchés dans les cases avoisinantes.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Quand j'ai débarqué, tous croyaient avoir vu le diable. J'étais le premier Africain qu'ils voyaient de leur vie. »

Né en 1941 dans une famille traditionnelle togolaise, Tété-Michel Kpomassie est destiné à 16 ans à servir le culte du python après avoir réchappé à un accident causé par ce serpent. Effrayé par cette perspective, il est saisi d'une fulgurance singulière à la lecture d'un livre sur le Groenland. Il se découvre, lui, l'homme de la forêt tropicale, de profondes affinités avec ces hommes du Grand Nord.

Passionné par cette région et par le mode de vie de ses habitants, il fuit son village et entame une odyssée improbable qui le conduira huit ans plus tard au Groenland. Froid, neige, obscurité ou soleil de minuit, rien ne le décourage. Accueilli par les Inuits, Tété-Michel Kpomassie découvre une société traditionnelle, vivant de la pêche et de la chasse, mais aussi une société fragilisée, dépendante et de plus en plus individualiste, conséquences de la colonisation danoise.

Les cahiers d’Esther, tome 8 : Histoires de mes 17 ans

Esther continue de grandir et, ma foi… commence à me lasser un peu.

Les cahiers d’Esther, tome 8 : Histoires de mes 17 ans de Riad Sattouf

Certes, à 17 ans, il y a forcément un peu moins de fraîcheur et d’innocence qu’à 10, mais les ficelles m’ont semblé usée, les clichés éculés, le déroulement prévisible, les cases et les planches déjà trop vues. Avec quand-même quelques pleines pages très réussies !

Et que dire de cette auto-promo posée là ?

Non, pas sûr que je me laisserais tenter par le dernier opus

Les tomes précédents

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je m'appelle Esther et j'ai 16 ans. J'habite toujours à Paris, dans le 17e arrondissement avec ma pure famille d'exception et je songe à arrêter mes études.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Dans ce huitième tome des Cahiers d'Esther, de Riad Sattouf, Esther est en première ! C'est bientôt le bac de français – AKA la condamnation à mort –, et Esther se pose des questions sur son avenir : pourquoi pas arrêter ses études en fait mdr ? Pour devenir libraire ? Vivre au milieu des livres ? Mais ça paie moins qu'Instagrameuse il paraît, c'est chaud... En attendant, elle prépare le BAFA, mais tout ne se passe pas comme prévu non plus...

Toujours accompagnée de son amie d'enfance, Cassandre, sa queen, d'Eva qui organise des grosses teufs sans le dire à ses darons ; et de Léa, en couple avec un dealer (mais " sensible " dans le fond en fait), elle survit au lycée Royal.

C'est alors que Poutine, le dictateur chauve, attaque l'Ukraine, et c'est la guerre. Et si ça nous arrivait ici en France aussi ?

Pilules bleues

Il était un temps où les pilules bleues n’étaient pas encore synonyme de bandaison ou de choix dans la matrice mais plutôt d’une maladie grave et inguérissable, le HIV et les trithérapies.

Pilules bleues de Frederik Peeters

Dans cette bande dessinée autobiographique, Frederik Peeters parle de son couple, son amour, sa famille recomposée… sa vie avec Cati et son fils, les deux séropositifs.

Une bouillonnante histoire d’amour avec toujours, cette maladie entre les deux. Et les préservatifs, et la peur… Et l’amour !

C’est beau, drôle, inquiet, ça déborde d’émotions incontrôlables sans tomber dans le mélo. Une ode à la vie !

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
... Discerner ...
... Discipline ...
... Emm.. Discobole ...
... Disconvenir ...
Ah !, Voilà !.. Discordant !..


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
A travers une histoire simple et des thèmes universels (l'amour, la mort), Frederik Peeters nous parle de sa rencontre et de son histoire avec Cati, de ce maudit virus qui va bouleverser la donne, et de toutes les émotions les plus contradictoires qu'il va devoir apprendre à gérer : compassion, pitié, ou amour pur et inaltérable? Pilules bleues nous propose, sans pathos ni sensationnalisme, de regarder sous un jour rarement (jamais ?) abordé, le quotidien de la maladie, tout en nous balançant quelques vérités surprenantes et bien senties sur le sujet. Malgré la gravité du thème, Pilules bleues se présente comme une oeuvre remplie de fraîcheur et d'humour.

Proust, roman familial

Laure Murat est issue d’une grande famille de France. Noblesse, ascendance prestigieuse, châteaux et domaines, aristocratie… un monde où paraître est primordial, les codes omniprésents et intangibles et où la forme l’emporte sur le fond. Une famille que Proust, fréquentait et dont nombre de représentants servirent de modèles pour les personnages de ses romans.

À ces doutes s'ajoutait un piège incontournable propre à l'aristocratie, surtout lorsque l'on en sort : dès qu'on en parle, on a l'air de se vanter. Comme si les titres nobiliaires et les noms à particule diffusaient, à peine prononcés dans l'air ambiant, l'arrogance et la vanité de toute une classe. Mais je n'ai rien à revendiquer, ni d'ailleurs à renier, d'un état civil où les hasards de la naissance m'ont jetée. Et je n'éprouve ni fierté, ni honte devant mon arbre généalogique, pour la simple raison que je ne crois, dans une existence à l'évidence socialement déterminée, ni à la loi du sang, ni à la fatalité d'un héritage envisagé comme un destin. Mon destin, on me l'a assez répété, était de me marier et d'avoir des enfants. Je n'ai pas d'enfants, je ne suis pas mariée, je vis avec une femme, je suis professeure d'université aux États-Unis, je vote à gauche et je suis féministe. Pour le milieu d'où je viens, c'est excéder de beaucoup le délit de cumul des mandats.
Proust, roman familial de Laure Murat

Laure Murat est également ouvertement homosexuelle et cela lui valut le bannissement familial.
La sublimation inverse
Limité au surgissement de noms familiers dans le cadre d'un roman, le trouble de ma lecture serait resté anecdotique. Mais le plus sidérant, c'était que toutes les scènes lues où l'aristocratie entrait en jeu étaient infiniment plus vivantes que les scènes vécues dont j'avais été le témoin, comme si Proust, à l'image du Dr Frankenstein, élaborait sous mes yeux le mode d'emploi des créatures que nous étions. Il mettait en mots et en paragraphes intelligibles ce qui se mouvait sous mes yeux depuis que j'étais née.
Ce fut un choc. Car, pour la première fois, la forme proustienne donnait du sens à la vacuité de la forme aristocratique. Le texte suppléait le vide, le roman prenait en charge le néant et la futilité d'un monde qui croyait posséder la clé de son royaume; la littérature apportait consistance, densité et épaisseur là où ne régnaient qu'une pantomime sans enjeu et une suite de scènes chic dépourvues de chair et d'intérêt.

Dans cet impressionnant essai biographique, elle parle d’elle, de sa famille et de Proust. Et ce petit journaliste du bout de la table sert ici de révélateur. A l’instar d’un bain photographique qui dévoile les ombres et la lumière, la recherche éclaire les propos de Laure Murat sur ce monde vide.

Un livre émouvant, drôle, accessible et érudit, éloquent et engagé. Le livre marquant de 2023 !

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Le diable se cache dans les détails
Il m'a fallu des années pour comprendre une chose très simple. Elle m'a sauté aux yeux lorsqu'un soir, regardant un épisode de Downton Abbey, j'ai découvert la scène où le maître d'hôtel sort un mètre devant la table dressée pour le dîner afin de mesurer la distance entre la fourchette et le couteau et de s'assurer que l'écart entre les couverts est le même pour chaque convive.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Toute mon adolescence, j'ai entendu parler des personnages d'À la recherche du temps perdu, persuadée qu'ils étaient des cousins que je n'avais pas encore rencontrés. À la maison, les répliques de Charlus, les vacheries de la duchesse de Guermantes se confondaient avec les bons mots entendus à table, sans solution de continuité entre fiction et réalité. Car le monde révolu où j'ai grandi était encore celui de Proust, qui avait connu mes arrière-grands-parents, dont les noms figurent dans son roman.

J'ai fini, vers l'âge de vingt ans, par lire la Recherche. Et là, ma vie a changé. Proust savait mieux que moi ce que je traversais. Il me montrait à quel point l'aristocratie est un univers de formes vides. Avant même ma rupture avec ma propre famille, il m'offrait une méditation sur l'exil intérieur vécu par celles et ceux qui s'écartent des normes sociales et sexuelles.

Proust ne m'a pas seulement décillée sur mon milieu d'origine. Il m'a constituée comme sujet, lectrice active de ma propre vie, en me révélant le pouvoir d'émancipation de la littérature, qui est aussi un pouvoir de consolation et de réconciliation avec le Temps.