Les meilleurs Maigret – à mon goût – sont ceux où Simenon s’attache à une personne, une famille ou un groupe (par exemple les habitants d’un immeuble, les client d’un bistrot…). À sa manière, il tente de les comprendre et de saisir leurs personnalités, les failles et les tensions. Et avec ce corps sans tête, il le fait très bien.
Un Maigret ou apprend qu’il existerait des étages de prostituées et que ce sont celles du bas qu’on retrouve démembrées dans les canaux. Si la formulation est fort maladroite et datée, reste un fait bien sordide qui démontre (s’il était besoin) la considération (nulle) qui leur était est apportée.
Un Maigret ou l’on apprend aussi qu’un verre de blanc toutes les heures ou toutes les demi-heures, ce n’est pas de l’alcoolisme. Rions !
La trouvaille des frères Naud
Le ciel commençait seulement à pâlir quand Jules, l'aîné des deux frères Naud, apparut sur le pont de la péniche, sa tête d'abord, puis ses épaules, puis son grand corps dégingandé. Frottant ses cheveux couleur de lin qui n'étaient pas encore peignés, il regarda l'écluse, le quai de Jemmapes à gauche, le quai de Valmy à droite, et il s'écoula quelques minutes, le temps de rouler une cigarette et de la fumer dans la fraîcheur du petit matin, avant qu'une lampe s'allumât dans le petit bar du coin de la rue des Récollets.
L'un après l'autre, les morceaux d'un cadavre, découverts par des mariniers, sortent des eaux du canal Saint-Martin, au-dessus de l'écluse des Récollets. Seule la tête demeure introuvable.
C'est dans un bistro voisin, sur le quai de Valmy, que Maigret va entreprendre de humer les mystères du quartier. Le patron du café, Omer Callas, est absent : au dire de sa femme Aline, il s'approvisionne en vins dans la région de Poitiers. Le policier a tôt fait de repérer les amants - l'un régulier, l'autre occasionnel - de cette femme évasive et sèche, adonnée à la boisson. Peu à peu l'étau se resserre autour d'elle. Mais quel intérêt pouvait-elle avoir à faire disparaître un mari aussi peu gênant ? La vérité surgira, étonnante, liée à ces paradoxes du cœur humain, à ces énigmes de la personnalité et du destin que Georges Simenon excelle à débusquer dans les existences les plus ordinaires