Strega

À la fin de cette lecture, j’ai vraiment regretté de ne pas savoir lire le suédois afin de pouvoir comparer la géniale traduction (de Catherine Renaud) à son original. Car il est de plus en plus rare de lire un texte avec une telle débauche de passé simple et de telles constructions de chapitres qui donnent à ce livre son style tellement baroque – voir gothique.

CHAQUE NUIT, JE PENSAIS À MON MEURTRIER.
Je m'imaginais une rangée de belles femmes. Derrière elles, une rangée de femmes laides. Derrière elles, les femmes stupides, les femmes intelligentes, les femmes aux joues épaisses. Je voyais des femmes dégoûtantes, des femmes vieilles, des femmes aux mains vides, sans bague. J'étais sûre qu'un meurtrier nous attendait toutes. Je le dessinais dans son costume marron et sa chemise à carreaux. Je le faisais apparaître. J'avais toujours pensé que je ferais un beau cadavre.
Strega de Johanne Lykke Holm
Une histoire de jeunes filles envoyées dans un hôtel pour qu’elles y apprennent à devenir de bonnes épouses. Un hôtel vide, où rien ne se passe… vraiment pas grand-chose.L'HÔTEL N'ÉTAIT PLUS UN HÔTEL, mais une machine à détruire. Des mesures disciplinaires plus ou moins brutales étaient mises en place partout. Les fenêtres se rétrécissaient alors que les lits devenaient de plus en plus durs et finirent surtout par ressembler à des sarcophages. Chaque jour était une représentation horrifique où plusieurs fantômes semblaient faire des entrées et des sorties, comme des poupées mécaniques. Nos mains rassemblaient nos cheveux en un chignon de plus en plus serré. Nos mains attrapaient les cigarettes. Nous nous placions automatiquement dans des formations rituelles. Nous voyions nos corps faire des choses contre notre volonté.
Je regardais autour de moi. Des employées d'hôtel anonymes qui se disciplinaient elles-mêmes. De petites coupures régulières et de l'eau bouillante. C'était insupportable, mais nous le supportions.Jusqu’à ce que l’une d’entre-elle disparaisse. Et même là…

Un livre impressionnant de style, hypnotique et envoûtant dans lequel tout semble rester figé hors du temps

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je me contemplai dans le miroir. J'y reconnus une femme jeune, mais déchue. Je me penchai pour presser ma bouche contre le miroir. La buée se diffusa sur le verre comme de la vapeur dans une pièce où quelqu'un avait dormi aussi profondément qu'un mort. Derrière moi, la pièce se reflétait. Sur le lit se trouvaient des épingles à cheveux, des somnifères et des culottes en coton. Sur le drap, il y avait des taches de lait et de sang. Je pensai : si quelqu'un prenait une photo de ce lit, toute personne sensée se dirait qu'il s'agit de la reconstitution du meurtre d'une petite fille ou d'un enlèvement particulièrement brutal. Je savais que la vie d'une femme pouvait se transformer à tout moment en scène de crime. Je n'avais pas encore compris que je vivais déjà dans cette scène de crime, que la scène de crime n'était pas le lit mais mon corps, que le crime avait déjà eu lieu.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Strega est un village dans la montagne que borde un lac noir. Neuf femmes de dix-neuf ans empruntent le téléphérique qui rejoint l’Hôtel Olympic. Filles de mères travailleuses et de pères invisibles, elles ont été envoyées là par leurs parents pour apprendre à devenir des femmes au foyer, en se formant au service de clients qui ne viennent jamais. Le temps s’étire, une sororité résistante s’installe comme un rêve dans le luxe des salles vides. Liqueurs et cigarettes accompagnent l’indolence de ces jeunes rebelles qui vivent dans la lumière brillante du grand parc de l’hôtel. Puis l’une d’elle disparaît. Elle a été assassinée, toutes le pressentent, car depuis l’enfance, elles le savent, la vie d’une femme peut se transformer à tout moment en scène de crime.
Dans un style exceptionnel, d’un onirisme sensuel à mi-chemin entre l’univers de Zelda Fitzgerald et le cinéma de Sofia Coppola, Strega raconte l’histoire, empreinte de lait et de sang, de neuf femmes aux prises avec un maléfice insaisissable.