En cas de malheur

Quel fascinant Simenon ! Quelle claque !

Moi qui avait mangé tous les Maigret, commissaire asexué, placide observateur des années 30 à 70 en France… Bonhomme au regard détaché devant la petitesse humaine. Témoin d’une époque patriarcale et bien pensante.

Ce qui me surprend, moi, je le confesse, ce qui me trouble, c'est que Mazetti soit amoureux d'Yvette, et j'ai tendance à croire que, sans moi, il ne s'en serait guère préoccupé.
Si un jour on lit les pages de ce dossier, on re- marquera que je n'ai jamais encore écrit le mot amour, et ce n'est pas par hasard. Je n'y crois pas. Plus exactement, je ne crois pas à ce qu'on appelle généralement ainsi. Je n'ai pas aimé Viviane, par exemple, si bouleversé que j'aie été par elle à l'époque du boulevard Malesherbes. Elle était la femme de mon patron, d'un homme que j'admirais et qui était célèbre. Elle vivait dans un monde bien fait pour éblouir l'étudiant pauvre et fruste que j'étais encore la veille. Elle était belle et j'étais laid. De la voir me céder, c'était un miracle qui me gonflait tout à coup de confiance en moi-même et en mon destin.
Car je comprenais déjà ce qui l'attirait en moi : une certaine force, une volonté inflexible à laquelle elle faisait confiance.
Elle a été ma maîtresse. Elle est devenue ma femme. Son corps m'a donné du plaisir, mais n'a jamais hanté mes rêves, n'a jamais été autre chose qu'un corps de femme, et Viviane n'a pris aucune part à ce que je crois le plus important de ma vie sexuelle.
Je lui étais reconnaissant de m'avoir distingué, d'avoir accepté, pour moi, ce que je considérais encore comme un sacrifice, et ce n'est que beaucoup plus tard que j'ai soupçonné la vérité sur ce que, de son côté, elle appelait son amour.
En cas de malheur de Georges Simenon

Et là, voilà que l’auteur se lâche dans une sorte de confession à peine déguisée (ou me trompé-je tant ?). Lui, l’homme qui se vantait d’avoir connu plus de dix mille femmes (pour la plus part prostituées), le voilà qui nous propose paroles d’un homme épuisé par sa maîtresse (jeune prostituée qu’il a sauvée du trottoir), les convenances, son travail, son épouse et ses obligations sociales.Demain, il est possible que je pense et écrive le contraire, mais j'en doute.
Yvette, comme la plupart des filles qui m'ont ému, personnifie pour moi la femelle, avec ses faiblesses, ses lâchetés, avec aussi son instinct de se raccrocher au mâle et de s'en faire l'esclave.
Je me souviens de sa surprise et de son orgueil, le jour où je l'ai giflée et, depuis, il lui est arrivé de me pousser à bout dans le seul but de me voir recommencer.
Je ne prétends pas qu'elle m'aime. Je ne veux pas de ce mot-là.
Mais elle a renoncé à être elle-même. Elle a remis son sort entre mes mains. Peu m'importe si c'est par paresse, par veulerie. C'est son rôle et je vois, peut-être naïvement, un symbole dans la façon dont, après m'avoir demandé de la défendre, elle a ouvert ses cuisses sur le coin de mon bureau.
Que, demain, je l'abandonne, elle redeviendra, dans les rues, une chienne errante à la recherche d'un maître.

Plongée dans la France des années cinquante, gros plan sur les fantasmes et la vision des hommes sur les femmes ! Fascinante, répugnante, hypnotique. Témoignage presque attendrissant d’un homme pris au piège de… de qui ? Fallait-il vous plaindre, Georges ?

Et que dire de l’immonde fin ? Oui, témoignage d’une époque qu’on souhaiterait tant révolue !

Un odieux livre indispensable

Le 86e roman dur de Simenon

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Il y a deux heures à peine, après le déjeuner, dans le salon où nous venions de passer pour prendre le café, je me tenais debout devant la fenêtre, assez près de la vitre pour en sentir l'humidité froide, quand j'ai entendu derrière moi ma femme prononcer :
- Tu comptes sortir cet après-midi?


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Les femmes, Lucien Gobillot les connaît : à quarante-cinq ans, et bien que marié, cet avocat à la carrière brillante, due à un mariage ambitieux et à quelques complaisances, multiplie les aventures sans lendemain. Tout change lorsque Yvette accusée d'agression contre un vieil horloger, fait irruption dans son cabinet, prête à le payer de ses charmes. L'avocat parvient à la faire acquitter. Commence alors une histoire amoureuse qui va l'entraîner plus loin qu'il n'eût voulu aller, dans une aventure où surgiront la menace...

Big Daddy

La rencontre entre Rody, triple meurtrier incarcéré à perpétuité à 13 ans et une avocate. Une histoire sensible dans un cloaque de violence.

Big Daddy de Chahdortt Djavann
Big Daddy de Chahdortt Djavann

Rude et subtil.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Un gamin des rues, Rody, est condamné à perpétuité pour un triple meurtre dans un trou perdu de l'Amérique profonde.

Lors de ses tête-à-tête dominicaux avec l'avocate commise d'office, Rody lui raconte son intimité avec Big Daddy, grand pervers criminel qui avait fait de lui son « fiston ».

Argent, drogue, sexe et loi de la haine, Blancs, Noirs, obèses, prostituées : tout y passe... mais rien ne se passe comme on peut l'imaginer.

« Rody's case », l'affaire Rody, est médiatisée et devient un enjeu de la campagne politique du gouverneur : consentira-t-il à le relaxer ?

Trois voix, trois histoires tendent cette intrigue pour composer un suspense psychologique d'une rare efficacité où chaque chapitre recèle une surprise, un retournement ou un coup de théâtre.

Roman politique et social, roman intime, roman noir : âmes sensibles, s'abstenir !

La petite femelle

Une contre-enquête, fouillée, détaillée et qui n’omet rien. Alors, forcément, ça prend de la place! Un peu beaucoup, peut-être. Mais tant de distorsions de la réalité valaient bien ça.

La petite femelle de Philippe Jaenada
La petite femelle de Philippe Jaenada

J’avais bien aimé la version romanesque de Jean-Luc Seigle. Ici, Jeanada s’attache aux faits, seulement ! Et c’est encore plus beau. Il lui rend ce qui aurait pu lui suffire lors de toutes les accusations : l’honnêteté.

Et quelle écriture ! Merci

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Au mois de novembre 1953 débute le procès retentissant de Pauline Dubuisson, accusée d'avoir tué de sang-froid son amant. Mais qui est donc cette beauté ravageuse dont la France entière réclame la tête ? Une arriviste froide et calculatrice ? Un monstre de duplicité qui a couché avec les Allemands, a été tondue, avant d'assassiner par jalousie un garçon de bonne famille ? Ou n'est-elle, au contraire, qu'une jeune fille libre qui revendique avant l'heure son émancipation et questionne la place des femmes au sein de la société ? Personne n'a jamais voulu écouter ce qu'elle avait à dire, elle que les soubresauts de l'Histoire ont pourtant broyée sans pitié.

Telle une enquête policière, La Petite Femelle retrace la quête obsessionnelle que Philippe Jaenada a menée pour rendre justice à Pauline Dubuisson en éclairant sa personnalité d'un nouveau jour. À son sujet, il a tout lu, tout écouté, soulevé toutes les pierres. Il nous livre ici un roman minutieux et passionnant, où l'on retrouve son humour irrésistible, son inimitable autodérision et ses cascades de digressions. Un récit palpitant, qui défie toutes les règles romanesques