À la fin de cette lecture, j’ai vraiment regretté de ne pas savoir lire le suédois afin de pouvoir comparer la géniale traduction (de Catherine Renaud) à son original. Car il est de plus en plus rare de lire un texte avec une telle débauche de passé simple et de telles constructions de chapitres qui donnent à ce livre son style tellement baroque – voir gothique.Jusqu’à ce que l’une d’entre-elle disparaisse. Et même là…
Un livre impressionnant de style, hypnotique et envoûtant dans lequel tout semble rester figé hors du temps
Je me contemplai dans le miroir. J'y reconnus une femme jeune, mais déchue. Je me penchai pour presser ma bouche contre le miroir. La buée se diffusa sur le verre comme de la vapeur dans une pièce où quelqu'un avait dormi aussi profondément qu'un mort. Derrière moi, la pièce se reflétait. Sur le lit se trouvaient des épingles à cheveux, des somnifères et des culottes en coton. Sur le drap, il y avait des taches de lait et de sang. Je pensai : si quelqu'un prenait une photo de ce lit, toute personne sensée se dirait qu'il s'agit de la reconstitution du meurtre d'une petite fille ou d'un enlèvement particulièrement brutal. Je savais que la vie d'une femme pouvait se transformer à tout moment en scène de crime. Je n'avais pas encore compris que je vivais déjà dans cette scène de crime, que la scène de crime n'était pas le lit mais mon corps, que le crime avait déjà eu lieu.
Strega est un village dans la montagne que borde un lac noir. Neuf femmes de dix-neuf ans empruntent le téléphérique qui rejoint l’Hôtel Olympic. Filles de mères travailleuses et de pères invisibles, elles ont été envoyées là par leurs parents pour apprendre à devenir des femmes au foyer, en se formant au service de clients qui ne viennent jamais. Le temps s’étire, une sororité résistante s’installe comme un rêve dans le luxe des salles vides. Liqueurs et cigarettes accompagnent l’indolence de ces jeunes rebelles qui vivent dans la lumière brillante du grand parc de l’hôtel. Puis l’une d’elle disparaît. Elle a été assassinée, toutes le pressentent, car depuis l’enfance, elles le savent, la vie d’une femme peut se transformer à tout moment en scène de crime.
Dans un style exceptionnel, d’un onirisme sensuel à mi-chemin entre l’univers de Zelda Fitzgerald et le cinéma de Sofia Coppola, Strega raconte l’histoire, empreinte de lait et de sang, de neuf femmes aux prises avec un maléfice insaisissable.