Camiothécaire-biblioneur aux lectures éclectiques. Romans, essais, biographies et autobiographies, récits de voyage, bandes dessinées, nouvelles, chroniques, témoignages… des critiques selon l'humeur
Quel tigre impressionnant ! Un livre qui me laisse sans voix, sidéré.
Neige Sinno a été violée, abusée par son beau-père de sept à quatorze ans. Elle racconte. Les abus, le jugement, le coupable, la famille, le village, la justice… Et elle
Un livre majeur, puissant. Qui n’évite rien, met les mots et regarde au fond des yeux, sans baisser le regard
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Portrait de mon violeur
Car à moi aussi, au fond, ce qui me semble le plus intéressant c'est ce qui se passe dans la tête du bourreau. Les victimes, c'est facile, on peut tous se mettre à leur place. Même si on n'a pas vécu ça, une amnésie traumatique, la sidération, le silence des victimes, on peut tous imaginer ce que c'est, ou on croit qu'on peut imaginer.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) J'ai voulu y croire, j'ai voulu rêver que le royaume de la littérature m'accueillerait comme n'importe lequel des orphelins qui y trouvent refuge, mais même à travers l'art, on ne peut pas sortir vainqueur de l'abjection. La littérature ne m'a pas sauvée. Je ne suis pas sauvée.
Tout est dit dans ce livre. Mais pas tout d’un coup. Comme pour l’inceste dont il parle, le mal avance masqué, il sait imposer son silence.
Dans ce livre trop criant de vérité pour n’être qu’une fiction (je m’interroge), Lolita Sene nous parle d’Esther, abusée par un oncle, le préféré de la grand-mère, intouchable.
Un roman poignant, révoltant et qui révèle toutes les difficultés, les incompréhensions, les rejets, la culpabilité… dont sont victimes les victimes. Des peines multiples qui jamais ne s’apaisent
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Elle n'a pas de nom, pas de date de naissance, pas de nationalité. Je l'appelle Jida, ou mamie, le plus souvent elle. Jida a deux grosses dents en or, canines saillantes qui lui donnent ce sourire si particulier, à la fois mystique et carnassier
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Enfant, Esther passe ses vacances chez sa grand-mère Jida, regard intimidant et canines en or, dont le pavillon modeste, une fois la porte fermée, transporte en Kabylie. Les chants, les odeurs, la cuisine, les danses, les traditions... Tout rappelle le pays d'où la famille a émigré, après la guerre d'Algérie, en passant par des camps de réfugiés. Il y a du monde, une agitation permanente. Esther évolue au milieu de ses tantes, ses oncles, ses cousins, ses cousines.
Et parmi eux, il y a Ziri. Le fils chéri de Jida, qui aime trop les enfants.
Régulièrement, Ziri demande à Esther d'aller l'attendre dans une chambre à l'étage. Elle se demande si personne ne se rend vraiment compte de rien. Comme elle se demande, plus grande, pourquoi sa grand-mère et une partie de la famille s'évertuent à protéger cet homme qui lui a fait tant de mal.
Un été chez, Jida raconte une famille de harkis, son héritage d'une richesse profuse et d'une violence terrible. Il raconte aussi l'obstination poignante d'une jeune femme à faire entendre sa voix, se battre contre des mœurs archaïques délétères et tenter de se réapproprier sa culture.
Voilà clairement le livre le plus américain d’une autrice suisse que j’ai pu lire.
OK, Pour le côté ricain, le livre se passe au États-Unis et la riche famille Haynes qui se prélasse au bord de la piscine donnent immédiatement un ton à la Bret Easton Ellis (la coke en moins), ou alors une famille à la Meet Joe Black (les névroses en plus). Mais il y a plus que ça. L’écriture, le style et récit très scénarisé, quasi cinématographique qui navigue constamment entre différentes périodes brosse un tableau très étasunien de cette famille dysfonctionnelle.
Une très belle réussite que cette noyade dans une famille étouffée par les secrets et les non-dits
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Dans la lumière déclinante de l'après-midi, les gouttes d'eau, brièvement suspendues dans l'air, prennent l'apparence de minuscules perles étincelantes. Une série d'empreintes de pieds humides, en bordure de la piscine, s'évapore lentement sous la chaleur de juillet. Depuis la terrasse résonne le tintement des couverts contre les assiettes, des chaises qu'on déplace.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Les enfants Haynes et leurs conjoints sont réunis autour d'Elizabeth, la matriarche charismatique. En apparence, la dynastie incarne la success-story américaine. Mais à vouloir se conformer à cette image de réussite, ils se sont enfermés dans des rôles de composition. Combien de temps pourront-ils encore taire leurs mensonges et leurs trahisons sans en payer le prix ? Accepteront-ils de tomber les masques dès lors qu'une tragédie les frappe ?
Livre de tous ses livres, clé de compréhension, « celui qui les réunira tous » ?
Après l’écriture de Mon père, Grégoire Delacourt se lance dans l’écriture de celui-ci et creuse au plus profond de ses propres blessures. Pas de roman ni d’artifices.
Et, chose curieuse, alors que j’avais toujours vu en lui une sorte de peintre des émotions, il nous décrit son vide intérieur.
Un livre dur et beau. Une réconciliation, une (re)naissance
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) La maison existe toujours. Elle est située au 9 de l'avenue de Verdun.
Si l'on fait abstraction de celle d'en face, au 12, qui appartenait à un médecin, c'est la plus spacieuse de l'avenue. Façade en briques rouges, double porte d'entrée en chêne - un miel clair. Des poignées bâton de maréchal en cuivre que ma mère avait à cœur de toujours faire briller.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) « Le jour où j'ai appris que j'étais une victime, je me suis senti vivant. »
On a souvent dit de ses romans qu'ils faisaient du bien. Lui-même a toujours su qu'il écrivait « parce que cela répare ». Que réparait Grégoire Delacourt ? Qui était son père, de plus en plus absent ? Sa mère, qui l'éloignait chaque jour davantage ?
Histoire d'une famille où l'on porte le déni comme une armure, L'Enfant réparé offre un éclairage unique sur le parcours d'un grand écrivain. Il dit l'écriture comme seule échappatoire, permettant d'abord de fuir avant de dessiner, pas à pas, un chemin vers la faille originelle.
Au plus juste des mots, l'auteur nous offre ici un récit littéraire d'une lucidité exceptionnelle
Tiraillée entre la fidélité à son mari banquier et son attirance pour Henry Miller et June, son prof de danse, un cousin, ses psys, son père, ses fantasmes… Anaïs se cherche, se découvre…
Un dessin magnifique qui exprime bien plus qu’un texte ne l’aurait pu, on découvre une Anaïs double, fragmentée, indécise, perdue, créative, torturée, artiste, culpabilisée, aimante, amante qui se cherche sans jamais parvenir à trouver celle qui se reflète dans son miroir. Mais aussi, une autrice infatigable qui ne cesse d’écrire dans son (ses) journal.
Une bande dessinée fascinante, superbe, onirique et sensuelle
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Biographie romancée de l'écrivaine et diariste de langue française Anaïs Nin. Ayant passé son enfance entre les Etats-Unis et la France, elle cherche une place dans la société patriarcale. Son journal, qu'elle tient depuis ses jeunes années, est son échappatoire. Elle y explore la complexité des sentiments. Edition deluxe avec un cahier graphique en fin d'ouvrage.
La violence est-elle contagieuse ? Se retrouve-t-on forcément un jour à rendre les coups reçus, peut-on pardonner, comment se reconstruire ?
Un livre puissant, rude. Une famille avec un père violent, abuseur, incestueux, imprévisible et pervers. Une grosse saloperie ! Une femme et deux filles prises dans ses griffes dans un petit village du Valais (mais il y en a partout) où chacun regarde ailleurs, refuse de voir, d’aider, d’intervenir.
L’histoire d’une fuite, d’une reconstruction, des cicatrices qui ne se referment pas. L’histoire des victimes et du bourreau.
Un roman qui ne se referme pas sans malaise et questionnements. Une fiction qui dépeint une affreuse réalité, celle de la maison d’à côté, de l’étage en dessus, la porte du voisin
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Tout à coup, il a un fusil dans les mains. La minute d'avant, je le jure, on mangeait des pommes de terre. Presque en silence. Ma sœur jacassait. Comme souvent. Mon père disait « Elle peut pas la boucler, cette gamine ».
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Dans ce village haut perché des montagnes valaisannes, tout se sait, et personne ne dit rien. Jeanne, la narratrice, apprend tôt à esquiver la brutalité perverse de son père. Si sa mère et sa soeur se résignent aux coups et à la déferlante des mots orduriers, elle lui tient tête. Un jour, pour une réponse péremptoire prononcée avec l'assurance de ses huit ans, il la tabasse. Convaincue que le médecin du village, appelé à son chevet, va mettre fin au cauchemar, elle est sidérée par son silence.
Dès lors, la haine de son père et le dégoût face à tant de lâcheté vont servir de viatique à Jeanne. À l'École normale d'instituteurs de Sion, elle vit cinq années de répit. Mais le suicide de sa soeur agit comme une insoutenable réplique de la violence fondatrice.
Réfugiée à Lausanne, la jeune femme, que le moindre bruit fait toujours sursauter, trouve enfin une forme d'apaisement. Le plaisir de nager dans le lac Léman est le seul qu'elle s'accorde. Habitée par sa rage d'oublier et de vivre, elle se laisse pourtant approcher par un cercle d'êtres bienveillants que sa sauvagerie n'effraie pas, s'essayant même à une vie amoureuse.
Dans une langue âpre, syncopée, Sarah Jollien-Fardel dit avec force le prix à payer pour cette émancipation à marche forcée. Car le passé inlassablement s'invite.
Sa préférée est un roman puissant sur l'appartenance à une terre natale, où Jeanne n'aura de cesse de revenir, aimantée par son amour pour sa mère et la culpabilité de n'avoir su la protéger de son destin
N’attend-t-on pas trop souvent qu’il soit trop tard pour parler ? Mais alors, est-ce trop tard ?
La mère de la narratrice, co (est-ce une autobiographie ?) tombe malade, une leucémie. L’occasion de se rapprocher, de parler, de mettre à jour ce qui s’était passé. Le grand-père, les gestes… les secrets de famille
Un livre très touchant sur l’importance de dire avant de partir, avant qu’il ne soit trop tard. Les mots qui soulagent, réconfortent, soignent et relient
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Je revenais de chez Farell. Nous nous étions rencontrés trois ans auparavant, lors d'un festival de documentaires. j'y présentais mon travail sur Clipperton, l'île déserte de possession française appelée île de la Passion, premier volet d'une série que je comptais réaliser sur les îles.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) La narratrice accueille sa mère malade chez elle. Cette cohabitation est l'occasion d'exhumer un secret concernant l'abus qu'ont subi les femmes de sa famille. La jeune femme est soutenue par Farell, son amoureux canadien, et Selma, une aventurière qui la fascine
En mai, je lisais La fille de Deauville de Vanessa Schneider et voilà que je retombe dans la même histoire qui marqua la France dans les années 70, le groupe terroriste Action Directe. Pour autant, nulle similitude dans le traitement de ce sujet.
Alors que la fille de Deauville s’intéressait à Joëlle Aubron, Monica Sabolo s’attelle à reconstruire une histoire plus complète, plus intime du groupuscule. Ce faisant elle s’interroge sur son identité, ses propres secrets de famille et laisse resurgir un incestueux beau-père.
Une (auto)biographie ou tout se mêle, s’interroge et se répond. Un livre où la recherche du pardon se confronte à la violence d’hier
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Je ne sais plus comment cela a commencé. Comment j'en suis arrivée à commander sur eBay, moyennant la somme de soixante euros, une buse naturalisée avec une queue tordue, juchée sur une branche.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) "Je tenais mon sujet. Un groupe de jeunes gens assassinent un père de famille pour des raisons idéologiques. J'allais écrire un truc facile et spectaculaire, rien n'était plus éloigné de moi que cette histoire-là. Je le croyais vraiment. Je ne savais pas encore que les années Action directe étaient faites de tout ce qui me constitue : le silence, le secret et l'écho de la violence". La vie clandestine, c'est d'abord celle de Monica Sabolo, élevée dans un milieu bourgeois, à l'ombre d'un père aux activités occultes, disparu sans un mot d'explication. C'est aussi celle des membres du groupe terroriste d'extrême gauche Action directe, objets d'une enquête romanesque qui va conduire la narratrice à revisiter son propre passé. Comment vivre en ayant commis ou subi l'irréparable ? Que sait-on de ceux que nous croyons connaître ?
Premièrement, c’est le style qui m’a séduit, c’est fluide et très bien écrit, c’est beau sans être pédant, une vraie réussite.
L’histoire ? Une mère un peu abusive (oui, un peu est en italique !) que l’on suit de la naissance de son fils jusqu’à … (il va falloir le lire, mais ça vaut la peine).
Une histoire mise en résonance avec le mythe de Périandre. Et ça aussi, c’est très bien monté.
Peut-être un petit bémol pour la fin qui aurait peut-être pu être plus proche du mythe. Zut, Harold Cobert n’a sûrement pas osé, préférant sacrifier la marraine.
Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente) Kratéa se caresse amoureusement le ventre. Seule sur la terrasse de son palais surplombant Corinthe, elle contemple la ville sur laquelle régnera un jour son fils.
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) Une femme donne naissance à un fils et noue une relation fusionnelle et malsaine avec son enfant, qu'elle considère comme son chef-d'oeuvre. Omniprésente, intrusive voire perverse, elle accepte difficilement l'arrivée de sa belle-fille qu'elle tente de manipuler et de briser. Lorsque cette dernière accouche à son tour d'un garçon, la grand-mère imagine son nouveau rôle
Au décès de sa mère, Georgia se reveille. Non, elle ne l’aura pas aidée, jusqu’au bout, rien ! Pas un mot, pas un soutien.
Alors les secrets et les oublis ne tiennent plus, ce n’est plus possible, les cris et les douleurs enfouies doivent sortir, elle doit être entendue. Mais que vont en faire sa soeur, son frère et son amant ?
Un livre très bien construit, qui commence sans trop en dire et qui m’a laissé choqué, stupéfait
Une femme seule avec sa douleur et sa colère
4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc) «Tout le monde m'appelle Jo. Mon frère, ma sœur, mon oncle, ma tante.
Je déteste.
Jo, c'est un raccourci pour ne pas flâner en chemin, c'est le dernier des frères Dalton, un boxeur, un chien, mais ce n'est pas Georgia.
Pour aller vite, ma mère aussi m'appelle Jo. Georgia, c'est trop long à dire, et il y aurait tant à dire.
"Jo, mets ta chemise ? Tu es très jolie, avec."
Ça aussi je déteste.
Si j'avais pu ne pas être jolie, rien, peut-être, ne serait arrivé.»
Georgia aurait dû rester, pleurer. Pleurer sa mère. Cette mère dont elle a attendu, espéré, pendant plus de trente ans, un geste, un mot. Cette mère pour qui aujourd'hui elle revient à l'Hôtel du Bord des vagues où justement tout est arrivé. Elle rejoint sa famille qui ne sait rien. Mais voudra-t-elle seulement savoir ?
Un roman puissant et lumineux à l'image de son héroïne, empreint de justesse et d'émotion