Kukum

Kukum m’a fait pleurer deux fois. Par la beauté des premiers instants et par l’horreur de la fin.

C'est difficile d'expliquer le territoire d'avant. Le bois d'avant les coupes à blanc. La Péribonka d'avant les barrages. Il faut imaginer une forêt sautant d'une montagne à l'autre jusqu'au-delà de l'horizon, visualiser cet océan végétal balayé par le vent, réchauffé par le soleil. Un monde où la vie et la mort se disputent la préséance et au milieu duquel coule, entre des berges sablonneuses ou des falaises austères, une rivière qui ressemble à un fleuve. C'est ardu à expliquer parce que cela n'existe plus. Les usines à papier ont dévoré la forêt. La Péribonka a été soumise et souillée. D'abord par la drave, puis par les barrages qui ont avalé ses chutes impétueuses et créé des réservoirs dont l'eau nourrit maintenant les centrales électriques.
Kukum de Michel Jean

L’histoire de l’arrière-grand-mère de l’auteur, Almanda Siméon née en 1882, qui épousa un jeune indien Innu. Une histoire d’amour magnifique au milieu du grand nord canadien. Une belle, très belle histoire qui aurait pu durer toujours.

Jusqu’à ce que Michel Jean nous rappelle brutalement à la réalité…

Et à l’annihilation de peuples premiers en détruisant les forêts, les lacs, la langue et les traditions par le « progrès », la sédentarisation, l’alcool, la langue, les pensionnats…

Un livre aussi beau que terrible

Et voilà que deux semaines après, je tombe sur cette info de Radio Canada : Protection de l’enfance : l’APN confirme qu’Ottawa versera 48 G$ pour réformer le système.

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Une mer au milieu des arbres. De l'eau à perte de vue, grise ou bleue selon les humeurs du ciel, traversée de courants glacés. Ce lac est à la fois beau et effrayant. Démesuré. Et la vie y est aussi fragile qu'ardente. Le soleil monte dans la brume du matin, mais le sable reste encore imprégné de la fraîcheur de la nuit. Depuis combien de temps suis-je assise face à Pekuakami?


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Almanda a 15 ans quand elle tombe amoureuse de Thomas, jeune Innu de l'immense lac Pekuakami. Orpheline québécoise d'origine irlandaise, elle quitte les siens pour le suivre dans cette existence nomade, brisant bientôt les carcans imposés aux femmes autochtones pour apprendre la chasse et la pêche. Ancré dans une nature omniprésente, sublime et très vite menacée, son destin se mêle alors à celui, tragique, d'un peuple ancestral à la liberté entravée.

Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé

Beigbeder, c’est un peu le cousin parisien, un peu foufou, talentueux et médiatique, celui qui ose, qui a du succès, le nez poudré sur le dancefloor avec des femmes magnifiques à ses côtés. Insouciant et émerveillé.
Mais, voilà le temps d’ouvrir les yeux. Qui suis-je, qu’ai-je fait ?
Et tiens, pourquoi pas, au moment de voir arriver l’heure du jugement dernier : – Suis-je quelqu’un de bien ?
Et là, Frédéric s’est senti un peu poussé dans le dos par les événements. Il a eu besoin de crier : Oui, je suis un chic type !

Je voudrais achever ces confessions d'un hétérosexuel sur une note primesautière. Ni l'anesthésiant colombien, ni la religion catholique, ni la discipline des marsouins ne sont parvenus à me guérir de ma pire addiction : le sexe. Je suis d'accord avec toutes les féministes les plus radicales. L'hétérosexualité est une horreur. Le désir nous taraude constamment. Ne pensez jamais qu'un homme est autre chose qu'un sexe en quête de plaisir, une main en quête de sein, une peau avide de caresser, une bouche qui veut mordre un cou.
Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé de Frédéric Beigbeder

Mais c’est quand même un peu énervant ! Voilà un exemple typique de l’homme blanc privilégié en train de crier : oui, je me rends bien compte, mais non, mais oui, mais non.

Allons, encore un effort, un peu d’introspection. Car, à l’en croire, effectivement, il n’a pas vraiment fait de mal (et en tout cas pas ce dont on salit ses murs, il est important de le souligner).Et d’ailleurs, plusieurs fois, il nous montre qu’il a été ce chic type qu’il aime aimer.

Un livre plaintif d’un auteur effectivement un peu dépassé par les événements. Tiens ! d’ailleurs, Frédéric, vous m’avez un peu fait penser à ce maladroit de Jean Roscoff.

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
- Papa, pourquoi ils ont fait ça ?
Nous sommes un matin de 2018 et je ne sais que répondre à Oona, ma fille de trois ans.
- C'est compliqué, chérie.
- C'est qui qui a fait ça ? C'est des méchants?
- Mais non, ne t'inquiète pas, c'est juste une blague.
Ma maison et ma voiture sont couvertes d'insultes roses. Le mur blanc de mon domicile basque est tagué de graffitis me traitant de violeur et de salaud.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Longtemps j'ai cru que la vie était une fête ; passé la cinquantaine, la vie est un interminable lendemain de cuite.

J'ai toujours voulu être transgressif sans savoir que j'étais conformiste. Aujourd'hui, je me sens mieux dans un monastère augustinien qu'au bordel, et les militaires m'amusent plus que les fashionistas. Mais se confesser dans un livre ne garantit aucune absolution ; passez votre chemin si vous cherchez ici autre chose qu'un homme qui tente de se comprendre. »
Frédéric Beigbeder

Indien stoïque

Jamais le sage ne se met en colère.
Ciceron
Fuck, j'en ai encore des croûtes à manger avant de devenir le vieux sage de la réserve.

De passage à Paris, je me suis arrêté dans l’excellente librairie du Québec et j’en suis ressorti (entre autre) avec ce tout petit essai à la couverture drôlissime – et plein d’humour à l’intérieur aussi !

CACHEZ CETTE COLÈRE QUE JE NE SAURAIS VOIR
Je ne suis pas l'écrivain de la famille, je ne trouve aucun plaisir dans l'écriture, mais j'ai récemment vécu un épisode plutôt banal qui m'a mis vraiment en rogne, pour ne pas dire en tabarnak, et qui me pousse à sortir de ma coquille.
L'épisode en question m'a appris que je n'avais pas le droit, en tant qu'Autochtone, d'exprimer ma colère. On s'entend pour dire que tout le monde comprend que nous soyons en colère, mais, ce jour-là, j'ai senti que, si nous voulons nous intégrer, il vaut mieux la garder enfouie bien profondément en nous. Pourtant, y a-t-il une émotion plus forte que la colère? Personnellement, c'est quand je suis en colère que je suis le plus productif et, comme Autochtone, ce n'est pas bien difficile de trouver des raisons de l'être.
Indien stoïque de Daniel Sioui

Daniel Sioui est libraire et éditeur, il est également un indien Wendat des premières nations et il exprime sa juste colère. Pas seulement pour crier seul au fond des bois (il en reste encore), mais pour tenter de faire avancer les choses ensemble et pour que dans sept générations (pourquoi 7 ? Je vous laisse lire) il soit possible de tous vivre ensemble au Québec et au Canada.

AVERTISSEMENT
Dans ce livre, j’utilise abondamment le mot Indien parce que je ne sais pas quoi utiliser d’autre. Je ne suis vraiment pas un fan du mot Autochtone, qui sonne bizarre, je trouve, mais comme il est politiquement correct, je vais l’utiliser pareil. Le mot Amérindien me fait toujours penser au touriste français qui se promène avec sa plume fluo dans les cheveux lors d’un pow-wow, alors très peu pour moi. Il reste Premières Nations, qui est trop impersonnel à mon goût. J’utiliserais bien le vrai mot qui existe dans ma langue, Onkwehonwe, qui veut dire « vrai homme », mais je trouve ça un peu péjoratif pour les Blancs, et moi aussi j’ai des amis blancs. Je me donne donc le droit d’utiliser le mot Indien comme j’ai le goût, et tant pis. Si ça vous choque, ne lisez pas ce livre, car il n’est vraiment pas pour vous!

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je ne suis pas l'écrivain de la famille, je ne trouve aucun plaisir dans l'écriture, mais j'ai récemment vécu un épisode plutôt banal qui m'a mis vraiment en rogne, pour ne pas dire en tabarnak, et qui me pousse à sortir de ma coquille.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
À un moment donné, un gars se tanne et il doit faire sortir le méchant. C’est exactement ce qui s’est passé ici. Une petite anecdote anodine a fait déborder le vase, et la colère s’est déversée dans ces pages. L’auteur en profite pour déballer sa frustration, et ce ne sont pas les sujets d’insatisfaction qui manquent pour un Autochtone vivant dans le Québec d’aujourd’hui…
Mais ce n’est pas une raison pour le prendre trop au sérieux. Ce n’est qu’un Indien, de toute façon.

Indien stoïque est le premier titre de la collection « Harangues », une collection destinée aux voix autochtones désireuses de se faire entendre sur l’avenir des Premières Nations.

L’inspecteur Cadavre

Et voilà, c’était le dernier roman de Maigret que je n’avais pas encore lu. Et, bonheur, c’en était un très bon ! Restent encore quelques nouvelles mais celles-ci m’ont généralement semblé moins bonnes. J’avais commencé ces lectures suite à la découverte d’un Maigret dans la cave de mes parents. Puis, j’avais été motivé par la lecture d’un article dans le Temps où Nicolas Dufour racontait son été durant lequel « J’ai lu les 75 romans de Maigret (et j’ai déjà envie de les relire) »

Le nom de l'homme était Cavre, Justin Cavre, et non Cadavre, bien entendu, mais il y avait vingt ans qu'on lui avait donné le surnom d'inspecteur Cadavre et c'était toujours ce sobriquet qu'on employait à la Police Judiciaire quand on parlait de lui.
Il était ridicule, dans son coin, l'air constipé, à prendre des poses inconfortables pour ne pas regarder dans la direction de Maigret. Il savait que celui-ci l'avait bien vu. Décharné, blafard, les paupières rouges, il faisait penser à ces gamins qui, à la récréation, se morfondent à l'écart en cachant sous leur hargne leur envie de jouer avec les autres.
L’inspecteur Cadavre de Georges Simenon

Et je termine ces Maigret avec bonheur par cette dernière enquête qui est celle de l’injustice ! Et, par chance, c’est peut-être une des plus emblématique. Ici, les salauds, les malins et malfaisants restent impunis.

Et, tout en attendant le train au bout du quai, près de sa valise qu'il surveillait, Maigret parlait tout seul :
 - Vois-tu, mon petit, moi aussi je suis de ceux qui, comme toi, voudraient que tout soit beau et propre sur la terre... Moi aussi, je souffre et je m'indigne quand...

Fataliste, Maigret s’en accommode tant bien que mal.

Car c’est sûrement là que réside une des originalités de Maigret. Si le commissaire cherche toujours à comprendre (avec succès, d’ailleurs (et souvent un peu miraculeusement)), les coupables ne sont pas toujours condamnés et parfois, nulle morale, aucun Karma ni justice. Le commissaire hausse les épaules et s’en va. Oui, les assassins, comme dans la vraie vie, restent libres… Parfois.

Maigret 45/103

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Le petit train du soir
Maigret regardait le monde avec de gros yeux maussades, donnant sans le vouloir à sa personne cette fausse dignité, cette importance qu'on affecte après les heures vides passées dans un compartiment de chemin de fer. Alors, bien avant que le train ralentisse pour entrer en gare, on voit des hommes gonflés dans d'énormes pardessus sortir de chaque alvéole, une serviette de cuir ou une valise à la main, et, avec l'air de ne pas se préoccuper les uns des autres, rester debout dans le couloir, une main négligemment accrochée à la tringle de cuivre qui barre la vitre.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Suicide? Meurtre? Un froid matin de janvier, un jeune homme est retrouvé mort sur la voie ferrée près de Saint-Aubin-les-Marais, en Vendée. Pour rendre service à un ami, le commissaire Maigret accepte de quitter Paris pour essayer d'y voir plus clair.
Mais il n'est pas le seul à mener l'enquête : un ancien policier devenu détective privé, l'inspecteur Cadavre, s'intéresse lui aussi de très près à cette affaire...

Les misérables

J’avais cru qu’en digne héritier de Reiser, Philippe Vuillemin avait tout osé. Je n’avais pas encore croisé Éric Salch !

Les misérables de Éric Salch

Et mazette, Victor Hugo revisité par Éric Salch, c’est quelque chose ! C’est crade, ça pue, c’est sordide, gore, immonde et putride (prenez tous les synonymes et ajoutez les gaiement)

En même temps, c’est assez drôle et cette adaptation irrévérencieuse du chef d’œuvre intouchable a quelque chose de très réussi où des planches très travaillées côtoient ce qui ressemble à des brouillons emballant des andouillettes.

Jean Valjean, Cosette, Javert et les Thénadrier dans un gros bol de vomi risquent de surprendre les cœurs purs

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
La périgourdine n'arrangera pas leurs misères... On ne va pas vous réexpliquer Les Misérables de Victor Hugo. On connaît tous les histoires de ses personnages. Celle du pauvre bougre Jean Valjean qui un jour vola un pain, se fit mettre au bagne pendant 19 ans et toute sa vie tenta de racheter ses pêchés. Celle de la petite Cosette, orpheline et élevée par les raclures de Thénardier. Celle de cet indécrottable adorateur du livre des lois qu'est Javert, défenseur obstiné de la justice. Celle de Marius, jeune intellectuel bohème et amoureux de Cosette. Celle de Gavroche, archétype du joyeux gamin des rues parisien... Tout ça, on le sait déjà plus ou moins, mais ce qu'on ne connait pas, ce que jamais on n'aurait pu imaginer, c'est la version des faits par Eric Salch. Drôle et tragique, aidé d'une poésie fiévreuse et souillée bien à lui, Eric Salch livre une vision personnelle et décalée des Misérables. Si le récit suit parfaitement la narration de l'oeuvre originale et que la pertinence de son propos reste indéniable, Eric Salch grossit les traits, ajoute anachronismes et absurdités pour ainsi nous faire rire du drame et du terrible de cette sublime tragédie romanesque

La guerre des pauvres

En Europe, les inégalités sont crasses (en ce 15e siècle), le clergé s’engraisse et les impôts tabassent.

La guerre des pauvres de Éric Vuillard
La guerre des pauvres de Éric Vuillard

Les hommes se soulèvent.

Un livre peut-être un peu moins inspiré que les brillantissimes Congo ou l’ordre du jour. Restent une écriture impeccable et un sujet fort bien amené par conteur talentueux!

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Les exaspérés sont ainsi, ils jaillissent un beau jour de la tête des peuples comme les fantômes sortent des murs.
É. V.

Le cri du diable

C’est plutôt bien écrit et le texte très aéré laisse respirer cette étouffante histoire. Celle d’une femme, veuve, qui tua pour se défendre et se voit contrainte à la fuite. Et la misère appelle la misère.

Le cri du diable de Damien Murith
Le cri du diable de Damien Murith

Mais je reste sur ma faim.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Le diable crie dans les veines de Camille. Camille est jalousie. Elle cherche en vain celui qui ne la décevra plus et de village en village, de misère en misère, répand son venin.

Mais le passé rattrape Camille. Alors elle fuit, se cache derrière les murs de la grande ville, loin des hommes qui la traquent.

Après la noirceur de la terre et les profondeurs des tempêtes humaines, la plume vertigineuse de Damien Murith trempe ici dans le poison et achève d'un souffle épique le tragique tryptique que dresse Le cycle des maudits