Le dernier quai

Voilà une bande dessinée bien intéressante sur le jugement dernier. Oh, pas celui d’un dieu dans le ciel. Ici, il s’agit plutôt de la dernière occasion de régler nos derniers conflits intérieurs. Au moment de notre mort, nous serons nous pardonnés nos culpabilités ?

Le dernier quai de Nicolas Delestret

L’histoire d’un majordome dans le dernier hôtel, au dernier quai du dernier train. L’hôtel où on laisse ses derniers bagages.

Un album au dessin léger et sympathique, pour une thématique qui aurait peut-être été mieux mise en valeur par un trait moins enfantin

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Émile commence sa journée, rythmée au tic près, immuablement, il reproduit les gestes monotones, mais rassurants, de son métier : gérant d'hôtel


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Prêt pour l'ultime voyage ?
Vérifiez d'abord que tous vos souvenirs sont en règle... »

Les clients de cet hôtel ont un point commun : ils viennent tous de mourir. Dans un rituel immuable, Émile, en hôte bienveillant, les accueille et les guide pour qu'ils puissent faire un point sur leur vie et trouver une forme de résilience. Quant à ceux qui ne parviennent pas à faire la paix avec eux-mêmes, ils connaissent un sort peu enviable. Tout est réglé comme une horloge à l'hôtel du dernier quai. Pourtant un grain de sable va enrayer les engrenages. Cette fois, les nouveaux pensionnaires n'ont aucun souvenir de leur ancienne vie. Dès lors, comment les aider ?

Ces jours qui disparaissent

Acrobate dans une troupe, Lubin se cogne la tête et depuis… il disparait un jour sur deux. Jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’une autre personne prend possession de son corps ces jours-là. Un autre lui, plus travailleur, investi professionnellement et aussi, bien plus propre… même s’il mange un peu n’importe comment et qu’il est bien moins sportif.

Ces jours qui disparaissent de Timothé Le Boucher

Mais alors… qui est-il ? Qui est le vrai ? Lui ou son autre lui ? Comment s’accrocher à sa vie ? Lutter pour elle ? Qui est légitime ? Peut-on partager une vie ? Et ses amours ?

Une bande-dessinée qui m’a bien scotché, me laissant plein d’empathie pour celui qui s’est fait faucher sa vie un jour sur deux… pour le moment ! Et dans cette BD qui fait la part belle au looser, difficile de ne pas espérer jusqu’au bout.

Un album porté par un scénario brillant et un dessin très frais à la ligne claire. Une grosse réussite !

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Lubin... Ta tête ?
Ça va, je sens presque plus rien...
J'ai juste perdu un paquet de neurones.
Encore faudrait-il qu'il y en ait eu.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Que feriez-vous si d'un coup vous vous aperceviez que vous ne vivez plus qu'un jour sur deux ? C'est ce qui arrive à Lubin Maréchal, un jeune homme d'une vingtaine d'années qui, sans qu'il n'en ait le moindre souvenir, se réveille chaque matin alors qu'un jour entier vient de s'écouler. Il découvre alors que pendant ses absences, une autre personnalité prend possession de son corps. Un autre lui-même avec un caractère bien différent du sien, menant une vie qui n'a rien à voir. Pour organiser cette cohabitation corporelle et temporelle, Lubin se met en tête de communiquer avec son « autre », par caméra interposée. Mais petit à petit, l'alter ego prend le dessus et possède le corps de Lubin de plus en plus longtemps, ce dernier s'évaporant progressivement dans le temps. Qui sait combien de jours lui reste-t-il à vivre avant de disparaître totalement ?

Au-delà d'un récit fantastique vraiment prenant, Ces jours qui disparaissent pose des questions fortes sur l'identité, la dualité de l'être et le rapport entre le corps et l'esprit.

Chesa Seraina

Chesa Seraina c’est la Maison sereine, la maison d’enfance construite par son père et détruite par le flammes.
Elena décide de la reconstruire.

J'annonce à ma sœur que j'ai quitté mon travail et d'abord je pense qu'elle n'a pas entendu parce qu'elle ne dit rien. Après elle demande : mais pourquoi ? Je réponds que je ne veux plus continuer ce travail sécurisant. Elle demande pourquoi, encore. Je dis que toute ma vie j'ai souhaité pourvu qu'il ne m'arrive rien. Et là, j'aimerais que quelque chose m'arrive. Elle demande : mais pourquoi ? Je réponds que je ne veux pas devenir une racine et pendant un moment Rose ne dit plus rien du tout. Puis elle demande : quoi ? Mais pourquoi ?
Chesa Seraina de Fanny Desarzens

Et cette histoire de reconstruction, c’est toute celle de la construction et de l’appropriation de soi.

Un petit livre délicat à l’écriture sensible

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Je ne me souviens pas vraiment. Je ne pourrais pas raconter ce qu'il s'est passé. Je sais simplement que le feu a beaucoup détruit mais je ne sais pas où il a commencé, ni comment, ni pourquoi. D'abord j'ai été très triste. Et puis c'est parti, je me suis habituée. Mais je pense que ça a abîmé ce que j'avais de cœur à ce moment-là.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
«D’abord j’ai été très triste. Et puis c’est parti, je me suis habituée. Mais je pense que ça a abîmé ce que j’avais de coeur à ce moment-là. »

Une jeune femme se perd dans sa vingtaine. Un jour, des souvenirs lui reviennent ; ceux d’une enfance brisée par l’incendie de Chesa Seraina, sa maison. Le feu a fait disparaître la mémoire du lieu ; elle décide de reconstruire ce que les flammes ont anéanti

Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?

Voilà un livre que j’avais lu il y a pas mal de temps et que j’avais un peu oublié. Il se trouve pourtant être à la naissance de ce blog !

LES LIVRES QUE L'ON A OUBLIÉS
OÙ L'ON POSE, AVEC MONTAIGNE, LA QUESTION DE SAVOIR SI UN LIVRE QU'ON A LU ET COMPLÈTEMENT OUBLIÉ, ET DONT ON A MÊME OUBLIE QU'ON L'A LU, EST ENCORE UN LIVRE QU'ON A LU.
Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? de Pierre Bayard

Car oui, qu’est-ce qu’avoir lu un livre ? Peut-on dire qu’on a lu un livre si on l’a totalement oublié ou dont seules quelques bribes indistinctes et confuses zèbrent encore nos vagues souvenirs ? L’oubli et la transformation ne sont-ils pas des éléments indispensable de la mémoire ?

Avec Eco plus encore qu'avec Valéry le livre apparait comme un objet aléatoire sur lequel nous discourons de manière imprécise, un objet avec lequel interfèrent en permanence nos fantasmes et nos illusions. Livre introuvable dans une bibliothèque aux limites infinies, le second volume de la Poétique d'Aristote est à l'image de la plupart des ouvrages dont nous parlons tout au long de notre existence, que nous les ayons lus ou non : des objets reconstruits, dont le modèle lointain est enfoui derrière notre langage et celui des autres, et qu'il est vain d'espérer un jour, même en étant prêt à y perdre la vie, toucher du doigt.

Pour en revenir à ce bouquin drôle et érudit, Pierre Bayard nous parle de ces livres dont on parle (en bien ou en mal) alors qu’on ne les a parfois que parcouru, qu’on a oublié ou même… dont on avait juste entendu parler.

Je feuillette les livres, je ne les estudie pas : ce qui m'en demeure, c'est chose que je ne reconnois plus estre d'autruy ; c'est cela seulement dequoy mon jugement a faict son profict, les discours et les imaginations dequoy il s'est imbu ; l'autheur, le lieu, les mots et autres circonstances. je les oublie incontinent.
Effacement qui est d'ailleurs l'autre face d'un enrichissement, et c'est parce qu'il a fait sien ce qu'il a lu que Montaigne s'empresse de l'oublier, comme si le livre n'était que le support transitoire d'une sagesse impersonnelle et n'avait plus, sa charge accomplie, qu'à disparaître après avoir délivré son message. Mais que l'oubli n'ait pas seulement des aspects négatifs ne résout pas tous les problèmes, notamment psychologiques, qui lui sont liés et ne dissipe pas l'angoisse, accrue par la nécessité quotidienne de parler aux autres, de ne rien pouvoir fixer dans sa mémoire.

Un premier jet sur les grandes mythomanies sociales nées de nos complexes et qui avait donné lieu à d’autres expérimentations du même style dont Comment parler des lieux où l’on a pas été ?

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Né dans un milieu où on lisait peu, ne goûtant guère cette activité et n'ayant de toute manière pas le temps de m'y consacrer, je me suis fréquemment retrouvé, suite à ces concours de circonstances dont la vie est coutumière, dans des situations délicates où j'étais contraint de m'exprimer à propos de livres que
je n'avais pas lus.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
L'étude des différentes manières de ne pas lire un livre, des situations délicates où l'on se retrouve quand il faut en parler et des moyens à mettre en œuvre pour se sortir d'affaire montre que, contrairement aux idées reçues, il est tout à fait possible d'avoir un échange passionnant à propos d'un livre que l'on n'a pas lu, y compris, et peut-être surtout, avec quelqu'un qui ne l'a pas lu non plus

Les raisons du coeur : récit véridique, drolatique et fantasmagorique

Jean-Paul a bien failli claquer sur un court de tennis lors d’un jeu avec Archie, un pote blindé de thunes (bien blindé, quand même !). Le voilà à passer au bloc entre les mains de la superstar des chirurgiens du myocarde

Les raisons du coeur : récit véridique, drolatique et fantasmagorique de Jean-Paul Enthoven

Passé le name dropping de toutes ses connaissances si illustres… Jean-Paul commence à réfléchir sur sa vie, ses relations et son besoin de statut social (pas sûr qu’il soit arrivé si loin dans ses réflexions), la célébrité, ses ex et sa présente, sa descendance et ses fantômes.

Introspection, humour et belle écriture

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Par quelle alchimie une peine de cœur peut-elle se transformer en accident cardiaque ?
Que se passe-t-il secrètement dans un cœur ardent et vivant qui, d'un coup, se brise ?
Tel est le mystère que tente d'éclaircir ce récit véridique, drolatique et fantasmagorique.

On y croise des balles de tennis et le chat de Schrödinger, des femmes fatales et un héros virgilien, une Thunderbird rutilante et des effluves d'outremer, Françoise Sagan et Michel Berger, des amitiés salvatrices, quelques doses de morphine et des souvenirs embrouillés de rêves.
Une saison en enfer ? Un aller-retour dans le néant ? Certainement pas.
Voici plutôt la confession d'un homme allégé, réconcilié, détaché, libéré, qui choisit d'en finir avec sa part de comédie.
Et de se raconter, soudain, à cœur ouvert

Le rapport de Brodeck

Lu après la sublime adaptation en BD par Larcenet… Quel choc !

Il est difficile de reprendre son souffle après une telle lecture. Magnifique et pourtant d’une noirceur abyssale.

Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel

Un livre sur les pires vomissures dont les hommes sont capables, sur la guerre et la haine de l’autre, les fascismes, les compromissions et les exactions.

Mais aussi par effet de miroir, un conte sur la beauté simple de l’amour qui tente sans jamais perdre espoir, de survivre dans toute cette saleté.

Bouleversant

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache.

Moi je n'ai rien fait, et lorsque j'ai su ce qui venait de se passer, j'aurais aimé ne jamais en parler, ligoter ma mémoire, la tenir bien serrée dans ses liens de façon à ce qu'elle demeure tranquille comme une fouine dans une nasse de fer.

Mais les autres m'ont forcé : "Toi, tu sais écrire, m'ont-ils dit, tu as fait des études." J'ai répondu que c'étaient de toutes petites études, des études même pas terminées d'ailleurs, et qui ne m'ont pas laissé un grand souvenir. Ils n'ont rien voulu savoir : "Tu sais écrire, tu sais les mots, et comment on les utilise, et comment aussi ils peuvent dire les choses. Ça suffira. Nous on ne sait pas faire cela. On s'embrouillerait, mais toi, tu diras, et alors ils te croiront." »

Le rapport de Brodeck

Deux tomes, l’autre et l’indicible

Glacial !

Le rapport de Brodeck, tome 1 : L’autre de Manu Larcenet

Il neige, il fait froid, ça pue l’isolement, le repli et la haine de l’autre.

L’autre assassiné.

Charge à Brodeck d’en rédiger le rapport dans l’étouffante atmosphère post guerre – camps de concentration – compromissions avec l’envahisseur.

Le rapport de Brodeck, tome 2 : L’indicible de Manu Larcenet

D’après le roman de Philippe Claudel

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
L'autre
L'Anderer ?
Vous n'avez pas fait ça, quand même ?

L'indicible
Dankelish, Fédorine.
Hier soir, quand Schloss m'a montré la chambre de l'Anderer, j'ai pris peur.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Brodeck établit de brèves notices sur l'état de la flore et les saisons, un travail sans importance pour son administration. Il ne sait pas si ses rapports parviennent à destination. Depuis la guerre, les courriers fonctionnent mal. Le maréchal-ferrant lui demande aussi de consigner les évènements du village.

La petite fille sur la banquise

Un livre déchirant, dont on ne ressort pas indemne. Une enfance détruite, une vie déchiquetée.

La petite fille sur la banquise de Adélaïde Bon
La petite fille sur la banquise de Adélaïde Bon

Un viol dans une cage d’escaliers à neuf ans. Et vingts-trois ans après, enfin! Un suspect! Le coupable arrêté. Et avec le procès, la découverte de toutes les autres victimes. Toutes ? Combien de vies détruites par un seul homme ? Cinquante, cent, certainement plus encore.

Un choc ! Un récit bouleversant d’une grande sincérité. Un témoignage absolu sur une vie massacrée, les séquelles, l’appareil policier et judiciaire et la tentative de retrouver la vie.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« Elle ne sent pas les méduses s'immiscer en elle ce jour-là, elle ne sait pas qu'elles vont la déporter de sa route, l'attirer vers des profondeurs désertes et inhospitalières, entraver jusqu'au moindre de ses pas, la faire douter de ses poings, rétrécir année après année le monde qui l'entoure à une poche d'air sans issue.

Personne ne la prévient, personne ne lui explique, le monde s'est tu. »
A.B.

Quand ses parents trouvent Adélaïde muette, pleurant sans savoir dire pourquoi, ils l'emmènent au commissariat et portent plainte contre X pour attouchements sexuels. Elle grandit sans rien laisser paraître, le sourire aux lèvres. Des années de souffrance et de solitude, à se battre contre les méduses.

Vingt-trois ans après, elle reçoit un appel de la brigade des mineurs, un suspect a été arrêté. Tout s'accélère

Dans le ventre du loup

Un livre de mémoire, pour la (re)trouver et réussir à la construire. Comment réagir en apprenant, vingts ans plus tard, que sa cousine fut violée et tuée à l’age de neuf ans? Héloïse Guay de Bellissen part à sa découverte et plonge dans les archives judiciaires pour retrouver Sophie.

Dans le ventre du loup de Héloïse Guay de Bellissen
Dans le ventre du loup de Héloïse Guay de Bellissen

Le livre part dans le passé, revient, navigue dans le temps, bifurque et m’a perdu parfois. Un livre pour tuer l’Ogre sous le lit, à la recherche de l’apaisement.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
C'est un conte, un conte bien réel. Une jeune femme ouvre les archives du tribunal d'Annecy pour revenir sur le fait divers qui a détruit sa famille, trente ans auparavant. Pourquoi ne lui a-t-on jamais parlé de sa cousine Sophie, victime à 9 ans du « monstre d'Annemasse » ? Elle plonge dans son histoire comme on plonge dans la gueule du loup. Le loup qui la guette depuis l'enfance. Le loup qui a tué, jeune assassin dont la vie a été pulvérisée par un drame. Le loup qui agit silencieusement au sein de chaque famille. Héloïse fait oeuvre de vérité, met en images les mauvais rêves, revient dans la maison de vacances où les petites filles vivaient en dehors du temps des adultes.

Revisitant le mythe du Chaperon rouge, Héloïse Guay de Bellissen, dans son roman le plus ambitieux, décrit admirablement le monde noir et solaire de l'enfance, et redonne au fantôme d'une fillette existence, dignité et amour

Souvenirs dormants

Patrick Modiano se promène dans les rues de Paris, Il se rappelle, il rencontre, il retrouve des notes, des papiers et des carnets, des personnes, des événements…

Souvenirs dormants de Patrick Modiano
Souvenirs dormants de Patrick Modiano

C’est long, il ne se passe rien, juste quelques souvenirs, parfois violents, mais aux teintes pastel du passé.

4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
« "Vous en avez de la mémoire..."
Oui, beaucoup... Mais j'ai aussi la mémoire de détails de ma vie, de personnes que je me suis efforcé d'oublier. Je croyais y être parvenu et sans que je m'y attende, après des dizaines d'années, ils remontent à la surface, comme des noyés, au détour d'une rue, à certaines heures de la journée. »