Nord Sentinelle : contes de l’indigène et du voyageur

Et voilà que je ressors de ce livre essoufflé. Mais bon… oui, je lis pour ça.

Des histoires anodines, des faits divers, des tranches de vies… qu’importe. Mais qui nous renseignent sur nous. Qui suis-je ou qui sommes-nous ? C’est moi là ?

J'ai tué les frères Dominati.
Pierre-Marie ne s'était à vrai dire pas contenté de les tuer. On raconte encore que ceux qui entrèrent les premiers dans la bergerie où se trouvaient les cadavres se signèrent devant ce qui ne pouvait être que l'œuvre du démon. Une épaisse couche de sang gelé recouvrait le sol. De larges taches brunâtres s'étalaient sur les murs. Les deux frères gisaient sur le dos, le pantalon baissé. De leurs paupières grandes ouvertes sur des yeux d'une étrange couleur uniforme, où l'on ne discernait plus ni iris ni pupille, coulait une longue larme gélatineuse parcourue de filaments vermillon. Leur bas-ventre était réduit en bouillie par des tirs de chevrotines. Ils avaient le crâne défoncé et portaient la marque de multiples coups de couteau sur les membres et la poitrine. Ils avaient été châtrés. Les deux verges aux chairs livides étaient posées sur la tablette de la cheminée. Leurs testicules avaient été enfoncés soigneusement dans leurs orbites vides mais leurs yeux demeurèrent introuvables.
Tu as tué les frères Dominati ? Toi? 
Oui, père. Moi. 
Et que comptes-tu faire ? Te rendre ? 
Non, père. Je ne me rendrai pas. 
D'accord. Nous prendrons nos dispositions
Et Pierre-Marie comprit que, pour la première fois, son père était fier de lui.
Nord Sentinelle : contes de l’indigène et du voyageur de Jérôme Ferrari
En plus, c’est drôle, tragique, quasi burlesque… et le coup d’œil est impitoyable.

Une histoire corse au cœur de la bêtise des hommes.

Mais quand-même… quelles phrases !

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
On raconte encore que, dans l'après-midi du 3 janvier 1855, malgré la vénérable prophétie annonçant la ruine de la ville sainte peu de temps après qu'un infidèle l'aurait impunément souillée de sa présence, le sultan Ahmad ibn Abu Bakr consentit à ce que le capitaine Richard Francis Burton franchit les portes inviolées de sa cité de Harar.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Pour une banale histoire de bouteille introduite illicitement dans son restaurant, le jeune Alexandre Romani poignarde Alban Genevey au milieu d'une foule de touristes massés sur un port corse. Alban, étudiant dont les parents possèdent une résidence secondaire sur l'île, connaît son agresseur depuis l'enfance.

Dès lors, le narrateur, intimement lié aux Romani, remonte - comme on remonterait un fleuve et ses affluents - la ligne de vie des protagonistes et dessine les contours d'une dynastie de la bêtise et de la médiocrité.

Sur un fil tragicomique, dans une langue vibrante aux accents corrosifs, Jérôme Ferrari sonde la violence, saisit la douloureuse déception de n'être que soi-même et inaugure, avec la thématique du tourisme intensif, une réflexion nourrie sur l'altérité. Sur ce qui, dès le premier pas posé sur le rivage, corrompt la terre et le cœur des hommes.

Nafasam

Un livre beau comme l’amour, dépaysant comme l’exil, questionnant comme la religion, délicieux comme le tadig et triste comme la maladie.

La cuisine iranienne s'apprend en secret. Tu ne poses pas de questions. Tu ne demandes pas. Tu observes. Tu goûtes. Tu traînes des heures entières en cuisine. Tu soulèves les couvercles. Tu te promènes avec une cuillère. Et tu regoûtes. Tu respires. Respire l'odeur. Et tu reconnais. Tu comprends. C'est cette épice qui donne ce goût-là. Tu regardes la viande qui mijote. Le mouvement de la très vieille cuillère en bois. Et tu enregistres. Tu apprends. Sans qu'on le sache. Tu deviens une femme qui sait faire.
Un jour, tu cuisineras au grand jour. Tu surprendras alors les autres femmes qui savent. Elles te regarderont autrement.
Nafasam de Chirine Sheybani

L’histoire d’une fille de famille juive ayant fuit le régime du Shah d’Iran pour les États-Unis et se retrouvant à Genève pour ses études et… Rencontrer Augustin. Une histoire d’amour au parfum des cuisines.

Sepideh attend. Encore une autre salle d'attente. Elle regarde le mur. Il n'y a pas de fenêtre. Elle aimerait voir dehors. Ça serait plus facile. Elle pense. Putain, quand même. Sepideh ne jure jamais. Et encore moins en français. Pourtant elle pense. Putain, quand même. Tu mets une vie à la construire. Une vie. Tu la construis. Tu t'appliques. Et c'est un château de cartes. Un souffle. Un coup trop fort. Et pouf. Tout tombe. Tout s'écroule. Toutes ces cartes que tu as disposées. Imbriquées. Toutes ces réflexions. Toutes ces hésitations. Pour faire bien. Pour faire au mieux. Tous ces choix. Toutes ces décisions. Et un jour. Un mec en blouse blanche. Te dit, ça ne va pas.

Une histoire de vie magnifique qui vibre au rythme des émotions

PS pour l’éditeur : Chères éditions cousu mouche, s’il vous plait, plus de polices sans-serif qui ne mettent pas vraiment en valeur vos textes. J’ai eu l’impression de lire un horaire de gare.

Incipit (et peut-être un petit peu plus si entente)
Augustin est assis en tailleur sur le tapis.

Elle s'asseyait toujours en tailleur. Partout. Sur les chaises, les fauteuils. Les canapés. Et par terre, évidemment.

Il y a du soleil dehors. Doux. Un chuchotement de lumière.


4e de couv, résumé de l'éditeur ou trouvé ailleurs (pas de moi, donc)
Augustin et Sepideh. Deux destins. Une rencontre. L’histoire d’un amour. En allant picorer dans leur existence, Chirine Sheybani parle de culture, d’identité, de cuisine, de maladie et d’amour.

À travers le personnage de Sepideh, elle raconte le destin des juifs iraniens, exilés sur leurs terres, puis de par le monde. Elle évoque la dignité de ces hommes et de ces femmes qui se construisent sans racines.

Chirine Sheybani dépeint aussi, au fil de pages puissantes, le combat contre la maladie et le droit de chacun d’écrire le mot fin de son histoire.

Écrit dans un style âpre, haché, et maîtrisé, Nafasam vous entraîne au plus près d’un couple attachant, dans l’intimité de Sepideh la fière et d’Augustin le conciliant.